ὕβρις

La lumière verticale qu’a dirigée la conscience européenne sur certaines régions de l’être tout au long de son histoire a levé une ombre toujours plus dense en son pourtour qu’on ne perçoit plus qu’avec peine et qu’on n’apercevra tout simplement bientôt plus, aveuglés que nous sommes par des découvertes éclatantes dans un territoire dont on a cru trop vite qu’il constituait le tout de notre expérience.
Le philosophe de Iena nous avait pourtant dûment appris que la rationalité ne constituait pas l’ensemble du réel, mais pouvait-il imaginer que ce qui échappait à l’emprise de la raison, le réel, retournât à sa nuit primitive poussé par la raison qui s’en était péniblement arrachée? Les avertissements de la philosophie ne nous tiennent plus désormais à l’abri de cette nouvelle menace.

Mais gardons-nous de diriger sans précaution nos projecteurs en direction du continent infini de cette ancienne nuit qui circonscrit notre raison et dont n’est sortie avec peine qu’une infime partie de ce que l’on est, l’esprit. La déraison guette à nouveau. Il nous faut apprivoiser de rien à rien cette nuit d’encre et réaménager sobrement les anciennes marges. A trop en vouloir, à prendre de trop haut la nuit nous risquerions de blesser les dieux.

L’homme est à l’image de ces lacs d’altitude menacés par les montagnes sans lesquelles ils ne seraient pas, dans lesquels se mirent l’alpha et l’oméga du ciel, une ïle.

Jean Prod’hom