Mont-de-Piété

Alors qu’il se réjouissait de ses prochaines lectures – du Napoléon de Max Gallo en 4 volumes qu’il avait hâte de croquer cet été sur les plages de Corse – , et que je l’écoutais distraitement réciter de mémoire trois longs passages de La Tentation de Lady Blanche que Brenda Joyce a publié chez Harlequin il y a plusieurs années déjà et qui l’avaient envoûté, tandis qu’il me racontait le restaurant sis en face de la gare de Nevers, le fauteuil de cuir noir dans lequel il avait lu les premières pages d’Un coin de paradis de Michel Carnal abandonné par un client pressé (Fleuve noir, 767), la pente du champ sans fiin traversé par un cerf hagard que Jean Giono a dépeint dans un livre de poche usagé abandonné au sommet de l’Aigoual, les phrases d’Elie Wiesel – L’Aube? Le Jour? – qui l’avaient raccommodé avec la vie alors qu’il fondait sur le Causse Méjean, je me dis qu’aucun de ces ouvrages ne valait l’autre, qu’ils étaient incomparables, qu’ils avaient tous leur place dans la grande bibliothèque et qu’il est difficile de brûler des livres, mais je me dis surtout que s’ils gardent une place à part dans nos mémoires, c’est parce que chacun d’eux est arrivé au devant de nous sans prévenir alors que nous manquions de quelque chose, sans avoir la prétention toutefois de combler ce manque qui demeure, mais en offrant une chambre à des échos qui se sont joints aux échos de manques plus anciens pour former le chiffre énigmatique d’une question qui n’attend pas de réponse mais un prolongement, car d’être allés de Nevers au sommet de l’Aigoual en passant par Méjean et Moriani-plage ne nous oblige à rien.

Jean Prod’hom