Entre chien et loup

On n’en a pas fini avec le mystère qui voit ensemble se nouer les choses et se dénouer le langage. Car penser ensemble le jour et la nuit semble hors les moyens de notre raison. On peut tout au plus baliser le puits hors duquel à l’aube l’un et l’autre surgissent après avoir croisé leurs doigts.
Un peu avant que le soleil ne s’impose, et avec lui le jour, avant qu’ils ne fassent taire tous deux la nuit vaincue, qui se retire dans les bois, sans personne pour l’accompagner, le temps s’égare pour s’immobiliser un bref instant: plus de pente, une boîte seulement, sans bord, qui s’étend à l’infini, pleine d’un vide dense, trouble comme l’eau de l’étang, à peine vivant, saturé d’un brouillard inconsistant, c’est l’autre pot au noir.
Aux yeux de celui qui est dans les parages, tôt levé ou jamais couché, il semble évident que le jour qui rougeoie à l’est gagne du terrain sur la nuit qui détale à l’ouest, à l’image des animaux lorsque l’incendie fait rage. Pourtant, avant que la premier ne chasse définitivement la seconde, le jour et la nuit ont rendez-vous sous le frêne à l’endroit même où le passant s’est immobilisé. Ils mêlent leur essence, leurs doigts, leur souffle au point de se fondre au milieu. L’homme y perd la tête ou le corps, le jour laisse filer les ombres, la nuit s’amollit.
Chacun peut craindre alors pour son existence pendant ces brèves noces auxquelles le langage n’a pas été invité, on se sent alors disparaître, transparent, avec les choses de peu de consistance qui nous entourent, dans le puits, entre chien et loup.

Jean Prod’hom