Les seigneurs de la nuit

La nuit tombe, c’est un samedi soir de l’année 1961 ou 1962, ou 1963. Je monte au stade de la Pontaise, la main dans la main de mon père en suivant la collectrice du Valentin dans laquelle cinq ou six drailles sorties de nulle part déversent des grappes d’inconnus. Mais la foule ne grossit vraiment qu’aux Anciennes Casernes, une foule taiseuse, concentrée, qui se prépare à faire face à quelque chose qu’on n’était tous bien incapables de penser. Une folle rumeur monte du puits que creusent les faisceaux bleu acier des projecteurs. On a de l’avance, on regarde l’heure, tout monte, monte. Mais il faut attendre, nous taire encore, contenir notre agitation, nos espoirs, avant que la grande affaire n’ait lieu. Ils entrent enfin dans la lumière.

On les appelait les Seigneurs de la nuit : Künzi, Grobéty, Tacchella, Schneiter, Hunziker, Dürr, Armbruster, Eschmann, Kerkhoffs, Hosp, Hertig. Chacun d’eux incarnait à sa manière l’un des onze attributs de l’être.

Jean Prod’hom