Une fois encore

C’est le dernier jour, on se quitte comme chaque année devant la maison, près du treillis, rue Pierre Cernize, à côté du sac d’ordures qu’on lui a laissé. Elle retient ses larmes, bien digne dans les bras de S. à laquelle elle confie ses craintes, celles des personnes âgées, imperceptibles secousses. Depuis cinq ans c’est la même chose. Elle lui dit tout encore une fois, mais elle lui fait comprendre qu’elle le fait peut-être pour la dernière fois.
Et lorsqu’on remonte la rue Joanny Desage, on l’aperçoit à travers les arbres du jardinet de son voisin. Elle est sur le perron, dites-lui au revoir les enfants, c’est peut-être la dernière fois. Elle rentre la tête dans les épaules, comme une enfant timide, ou un hérisson, elle sort la main droite de la poche de sa blouse bleue à pois blancs et l’agite lentement comme un enfant. Bon voyage. A la prochaine fois. Sa main gauche sert un mouchoir, elle va rejoindre l’ombre qui l’attend dans sa cuisine.
Lorsqu’on prend la route de Saint-Galmier pour rejoindre Saint-Etienne, je l’imagine alors debout, les pieds dans une cuvette d’eau fraîche. Il faudra monter en ville, faire quelques achats, ramener le journal qu’elle partage avec son voisin. Le temps passe si vite, l’an prochain est déjà bientôt là. La vie a repris, pleine d’oublis, elle ne dit rien, elle fait, elle va.

Jean Prod’hom