Tu marches sous la pluie

Tu marches sous la pluie avec pour seuls repères les feux tremblants des réverbères qui bordent la route cantonale et les lacets qu’empruntent quelques voitures pressées, qui se croisent et s’entrecroisent dans la nuit. Tu vois juste assez pour distinguer, loin devant, ton domicile, quelque chose de sombre qui ne bouge pas, quelque chose qui est en lien avec le sol sur lequel tu poses les pieds et que tu n’entames pas. Tu as beau faire aller tes jambes, tu n’avances pas, ton buste demeure immobile, la bête est silencieuse.
Tu ne feras pas long feu sur le dos de cette immense baleine qui tourne lentement sur elle-même avant de replonger dans la nuit d’huile sans provoquer le moindre remous. Tu sens bien que le temps ne se mesure pas à l’espace parcouru, mais est l’effet d’un battement obstiné, celui de tes jambes qui vont et viennent autour de tes hanches dans un vide sidéral. Oui, tu es vivant et tu pédales bien droit sur le dos de Moby Dick.

Jean Prod’hom