Il fait beau

Il fait beau, mais un film transparent traversé de nervures blanchâtres et grasses colle au ciel. D’innombrables mouches jonchent le sol des combles. Relis au réveil les dernières pages de Colomba, texte sur lequel un élève prépare son travail de certificat. J’en aurai bientôt fini avec ces lectures : Une vie, Le Parfum, Si c’est un homme, Le Voyage au centre de la terre, L’Ecume des jours. On déjeune à la véranda et on goûte à la mousse de framboise que j’ai préparée la veille avec Louise. On se régale et on se promet d’en refaire une un de ces jours prochains avec les fruits qui restent dans le congélateur.
Louise nettoie la cage de Mickey, Lili celle de Cacao. J’envoie un mot à François pour fixer la date à laquelle nous irons faire une balade, ce sera fin mars. Le printemps est encore loin, on tire depuis ce matin à la quatrième citerne de mazout.
Je pars pour une promenade, mais m’assieds bien vite sur une souche qui borde le sentier qui mène à l’étang. Les restes de l’automne ont été comme passés à l’eau de javel, la bise qui forcit dans les épicéas souffle le chaud et le froid.
Ne sais pas pourquoi mais y pense, à Sebald qui écrit quelque part qu’il y a désormais sur terre assez de vivants pour qu’on n’ait plus à garder nos morts qui, bientôt, ne nous visiteront plus. Ils disparaissent ainsi deux fois. Mais c’est aussi du passé qu’on se coupe, et des lieux, du passé des inconnus de Biasca, de Vienne ou de Berne.
A l’étang, les bouleaux muent et sous leur pellicule blanche, plus fine que de l’ostie, apparaît leur nouvelle peau, rose ou orange avec des reflets bleus. L’herbe sèche ne se relèvera pas. Je cherche sans succès le couple de canards qui vivaient le printemps passé dans les parages.
La bise donne le vertige, elle gronde par moment, comme l’océan. Plus loin, les lignes à haute tension au pied desquelles trottinent des pies la fait siffler. Sur le rebord de fenêtre d’un atelier, des corps en terre cuite n’ont pas résisté à l’hiver, l’eau les a rongés et ils se désagrègent comme du pain sec détrempé.
Arthur a préparé avec Dylan une mixture pour savonner une rampe sur laquelle il comptent faire glisser leur trottinette, Louise les rejoint au tilleul. Bizarre, la porte du poulailler est fermée lorsque je veux la fermer.
Cette après-midi, Lili a perdu une incisive.

Jean