Tout est si simple

Près de la tombe – que j’ai retrouvée avec tant de peine – un peuplier-tremble grésille dans le vent d’automne qui ramène sur un bref soleil les nuées jaunes et grises. Une croix de chrysanthèmes roses, couchée sur le gravier de marbre. J’ai cru qu’il y avait une abeille morte prise au coeur des pétales, mais touchée du doigt, c’est – vivante – une de ces fausses abeilles qui hantent les jardins d’octobre.
Pas une fleur à jeter là. Il y a peut-être des parents qui vivent encore… les rechercher, leur écrire – mais quoi ? Un homme se souvient ici, c’est tout.

Gustave Roud, Air de la solitude, 1945

Tandis que les élèves de l’Etablissement de Mézières font la fête, je cherche la tombe de Gustave Roud dans le cimetière de Carrouge, à quelques pas de la ferme qu’il habita près de 40 ans avec sa seule soeur. Sans succès, la tombe de Madeleine est bien visible à l’entrée, à droite du portail, pas trace de celle de Gustave.
Le patron du café du Raisin à qui je demande de m’aider ne peut pas m’informer, il m’envoie auprès de Desmeules qui est sur la terrasse. Cette tombe il ne l’a jamais vue lui non plus. Pourtant il se souvient, il avait une quinzaine d’années, c’était la dernière fois qu’on sortait le corbillard, on la remisé pour toujours, s’entend le corbillard, c’était un corbillard tiré par un cheval. A moins que le corbillard ait emmené le poète ailleurs, dit Desmeules, dans un autre village. Impossible, dit le patron, le corbillard ne pouvait pas sortir de la commune.
J’ouvre mon parapuie et retourne avec la nuit au cimetière, en rêvant que la tombe de Gustave Roud n’y est plus. Je finis par la trouver, la première en entrant tout près du banc, bien visible et proprette, quelques mètres à l’avant de celle de Madeleine. Elles n’on ni l’une ni l’autre aucun intérêt.
La pluie redouble, un petit bus scolaire s’arrête, y sont assis une dizaine de bambins de 6 ou 7 ans, immobiles. Devant la grande salle de Carrouge des maîtresses les saluent en souriant. Un homme se souvient ici, c’est tout.

Jean Prod’hom