Il ressemble à Samuel Beckett

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L’homme à la veste grise qui emprunte le passage pour piétons en titubant marche sur des œufs, il se détourne des rumeurs qu’il croise, avant de s’immobiliser comme Socrate sur la place publique, les mains dans les poches. Ses os sont comme du verre, sa peau comme du cuir, on le dirait sur des échasses. Il s’assied sur un banc au bout de l’allée, tout près d’une de ces parties du jour qui s’attardent à l’arrière. La tête dans le creux de ses mains, il entend tout au fond de sa poitrine les bruits en miettes de la terre sur lesquels la langue n’a pas fait main basse.

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L’homme est allongé comme sur le pont d’un paquebot, la route est libre, la mer immense. Il se tient aux minimas, avec une petite pompe à la place du coeur, surtout ne rien froisser, pas même les feuilles mortes. Il ne bronche pas lorsqu’un chat miaule ou que le vent faiblit. Aucune trace sur son visage, ni souvenir ni promesse. L’homme a les pieds sur terre comme sur une bande de Moebius, le visage nu tout près des pierres. La brise est son île, il n’est pas de ceux qui brûlent leur vie par les deux bouts. L’homme se tient dans une poche retroussée qui tient l’endroit des choses dans sa main, le haut et le bas et leurs méandres, il veille simplement à ne pas heurter les coques fragiles qui l’entourent. Cet homme – il ressemble à Samuel Beckett – a échoué sur ce rivage qu’aucune cartographie ne mentionne, un rivage qui serpente dans l’axe de nos vies et dans le sable duquel celui qui le veut bien est invité à se vautrer un instant pour prendre la mesure de ce qui pourrait bien être une bonne approximation de l’éternité.

Jean Prod’hom

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