Oscar

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Oscar passe une partie de la matinée dans le jardin tandis que je brûle les dépouilles du tilleul que Daniel a fait tomber vendredi. Il s’affaire sur un morceau de bois, le ronge, court après son ombre et les bruits, lève la tête, se roule dans les copeaux, aboie, disparaît, revient. Lorsqu’il m’aperçoit avec un bout de tilleul à sa taille, il s’approche, me regarde, attend. Mais je n’ai pas le temps ou ne le prends pas, ou ne le lui donne pas. Il penche la tête à gauche, à droite, je fais de même, à droite, à gauche, je joue, il reprend, je ris, lui pas, il ne joue pas, c’est autre chose.
Son insistance muette – elle me fait penser à celle des innocents, des enfants, des oubliés, ou à celle des pauvres – fait tomber mes dernières résistances, je jette en direction du hangar un os de bois avant de retourner à ma tâche.
On se sera donc croisés quelques secondes avant de rejoindre chacun de notre côté notre ventre et le gros de notre vie, dans un jardin où coexistent d’innombrables mondes, il rejoint le sien, je rejoins le mien. Je l’observe pourtant à la dérobée et, alors qu’il reprend place au centre de son domaine et se livre aux circonstances en cueillant quelques fruits du hasard, je m’interroge, cherchant la clé de ses actions. Je radote, il se tait, c’est évident, il me montre la voie, il fait rayonner en effet une autre vie à quelques lieues des boulevards du langage et de la raison.
Son esprit n’est décidément pas soumis au déroulement linéaire qui nous éloigne de la coexistence et de la diversité des mondes. Les décisions qu’il prend sont justes, ne le conduisent pas au désastre, mais elles n’obéissent pas aux règles qui président aux miennes. Les étoiles tombent de partout autour de lui, monde ouvert qui ne change pas et qui semble clignoter continûment tandis que j’avance entre deux haies de raisons, au coup par coup, comme dans un récit taillé à la machette et dont l’imprévu a été exclu.
En affinant ses rapports au monde par le langage, l’homme s’est coupé d’autres manières de l’habiter, l’oubli du temps d’avant l’enfance en témoigne. Comment Oscar fait-il pour s’y retrouver, ne pas devenir fou, aimer ? Oscar est un philosophe qui s’ignore, me voilà moins seul dans le monde du langage, ensemble dans le jardin. Je le sais seul loin de moi dans le sien, ne veux ni le rejoindre ni le rapatrier dans le mien.

Jean Prod’hom