Jug

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« Pardonnez, Monseigneur, l’importance que je mets à ce fait. Il faut avoir éprouvé toutes les angoisses d’une instruction aussi pénible ; il faut avoir suivi et dirigé cet homme-plante dans ses laborieux développements, depuis le premier acte de l’attention jusqu’à cette première étincelle de l’imagination, pour se faire une idée de la joie que j’en ressentis et me trouver pardonnable de produire encore en ce moment avec une sorte d’ostentation, un fait aussi simple et aussi ordinaire. »

Jean Itard, Rapport sur les nouveaux développements de Victor de l’Aveyron, 1806

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Jug – carafe en verre soufflé à travers un os de vache gainé d’un cuir ourlé (MUDAC, Lausanne, de la série Craftica réalisée par Fendi, 2012)

« Au milieu de ces méprises, ou plutôt de ces oscillations d’une intelligence tendant sans cesse au repos, et sans cesse mue par des moyens artificiels, je crus voir se développer une de ces facultés caractéristiques de l’homme, et de l’homme pensant, la faculté d’inventer.
Je me rappelle que dînant un jour en ville et voulant recevoir une cuillerée de lentilles qu’on lui présentait, au moment où il n’y avait plus d’assiettes ni de plats sur la table, il s’avisa d’aller prendre sur la cheminée et d’avancer, ainsi qu’il l’eût fait d’une assiette, un petit dessin sous verre, de forme circulaire, entouré d’un cadre dont le rebord nu et saillant ne ressemblait pas mal à celui d’une assiette.
Mais très souvent ses expédients étaient plus heureux, mieux trouvés, et méritaient à plus juste titre, le nom d’invention. Je ne crains pas de donner ce nom à la manière dont il se pourvut un jour d’un porte-crayon. Une seule fois, dans mon cabinet, je lui avais fait faire usage de cet instrument pour fixer un petit morceau de craie qu’il ne pouvait tenir du bout de ses doigts. Peu de jours après, la même difficulté se présenta ; mais Victor était dans sa chambre, et il n’avait pas là de porte-crayon pour tenir sa craie. Je le donne à l’homme le plus industrieux ou le plus inventif, de dire ou plutôt de faire ce qu’il fit pour s’en procurer un. Il prit un ustensile de rôtisseur, employé dans les bonnes cuisines, autant que superflu dans celle d’un pauvre sauvage, et qui, pour cette raison, restait oublié et rongé de rouille au fond d’une petite armoire, une lardoire enfin. Tel fut l’instrument qu’il prit pour remplacer celui qui lui manquait et qu’il sut, par une seconde inspiration d’une imagination vraiment créatrice, convertir en un véritable porte-crayon en remplaçant les coulants par quelques tours de fil. »

Jean Itard, Rapport sur les nouveaux développements de Victor de l’Aveyron, 1806

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– Dites-moi Madame Guérin, c’est vous qui avez fait cet objet ?
– Ma foi non, Docteur!
– Et bien c’est Victor !
– Victor ? Mais c’est le vieux manche à gigot !
– C’est un porte-craie. Il l’a fabriqué lui-même.
– Comme c’est bien !
– Ah oui ! C’est très bien.

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– Dis-moi, Victor, c’est toi qui as fait ça ? C’est toi Victor ? Oui ? C’est très bien Victor, c’est magnifique. Je te félicite, je suis très content.

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François Truffaut, L’Enfant sauvage, 1969