Une doctrine à double foyer

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Hier, on a démarré la journée avec les batteries à plat, sans disposer de chargeurs ou d’une voiture de service, on a dégotté finalement une pente, mais tard, très tard si bien qu’il nous a fallu mettre les bouchées doubles. C’est que, la veille, on était rentrés tard de la fête organisée par la commune du Mont-sur-Lausanne dans la grande salle du Petit-Mont. Belle soirée, silence entendu sur le job, on a voulu croire avant l’été que tout allait bien, que l’école de septembre ressemblerait à celle de juin, qu’il suffisait de prolonger les lignes vers un hypothétique point de fuite et de ne pas se demander s’il pourrait en aller autrement. On a montré dans ce domaine comme toujours de la bonne volonté et plein d’idées.

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Tous, les architectes comme les politiques, les fabricants de tables, de chaises, de pupitres, de cahiers, de livres, tous, les enseignants et les élèves, les secrétaires et les concierges se tiennent la main pour parer à l’injonction qui leur est faite de prendre acte des nouvelles conditions objectives de nos vies. Sourires chez les professionnels, comme on dit, prêts à payer le prix pour ne pas avoir à se coltiner les effets de la mutation à laquelle nous convient nos vies réelles. On n’a pas évoqué vendredi soir les établissements des Pays-bas qui ouvriront l’année prochaine leurs portes de 7 heures 30 à 18 heures 30 avec pour seule obligation que les élèves soient présent de 10 heures 30 à 15 heures. L’enfant gère son planning comme il l’entend. Il y a par contre beaucoup moins de vacances imposées. L’établissement est fermé uniquement pendant les fêtes de fin d’année. En ce qui concerne les vacances, rien n’est imposé. Ce sont les parents et les enfants qui décident. Que les responsables des onze écoles de ce type les appellent des écoles Steeve Jobs n’est pas pour nous rassurer, mais l’idée que des gens répondent sur le fond à cette déclaration du même Steve Jobs selon laquelle il est absurde que le système éducatif américain repose encore sur le modèle suranné de professeurs debout devant leur tableau noir avec à la main leurs manuels scolaires n’est pas pour nous déplaire. On en est ici très loin encore, sachant que la clé de cette affaire ne relève pas essentiellement des moyens financiers et des outils mis à notre disposition, mais du courage de chacun de tout reprendre à zéro, de fixer les élémentaires priorités et d’agir bien plus comme des gamins pleins de bon sens que comme des professionnels imbus de leurs compétences et de leurs droits.

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La cérémonie commence à 13 heures 30, on sera les derniers sur les lieux, la Yaris en bout de file avec les cloches qui sonnent dans le court campanile carré qui chevauche le petit faîte de l’église elliptique de Chêne-Paquier. Est-ce un choix délibéré des deux amoureux que d’avoir choisi cette église de 1667 pour se jurer fidélité, une église des origines secondes du protestantisme dans le pays de Vaud, sortie des mains de l’architecte Abraham Dünz ? Une église ovale avec une disposition en large dès l’origine, seul exemplaire de ce type si on excepte l’église d’Oron en ovale aplati construite elle aussi par Abraham Dünz peu après avoir terminé celle de Chêne-Pâquier (mais qui trouvera une utilisation en long au moins au début du XIXème siècle), ovale donc, ovale ovale, tout nu, sans contrefort ou porche avancé.
Toujours est-il que, samedi en début d’après-midi, la cérémonie s’est déroulée elle aussi sur un plan elliptique, on a en effet tourné autour de deux foyers, le premier qui maintenait dans son orbite un peu lâchement le nom des oeuvres vives de Dieu et les paroles de l’Ecclésiaste, le second qui tenait en laisse le pasteur amoureux de cette rhétorique de la persuasion et du divertissement utilisée en d’autres lieux, pour maintenir les brebis dans leur enclos. Un vitalisme donc conjuguant un contenu doctrinaire secondaire, relativement pauvre, obéissant aux lois du discours publicitaire, avec de l’énergie brute, positive, prioritaire, que transmettent avec doigté les animateurs d’aujourd’hui, chargés à bloc, qui ne se départissent jamais d’une certaine bonne humeur et d’un sourire confiant, presque carnassier, quand bien même le ciel leur tomberait sur la tête. Pasteur donc, habillant ses dires non pas d’images au sens classique, les protestants demeurent iconophobes, mais de figures rhétoriques colorées, images encore qui, de connexion en déconnexion, admission, explosion compression, décompression, promettent que la fête sera vraiment belle.
Mais ce que j’ai appris hier au retour de Chêne-Pâquier, c’est que malgré Dünz Ier, les prédications, les promesses, les agapes, les mousses au chocolat, les sucreries et le soleil, on oublie souvent l’essentiel. Avant que le cortège des voitures coiffées d’un plumet blanc ne parviennent en effet à Donneloye, là où un chemin vicinal conduit à une ferme foraine, un petit groupe d’enfants se tenait là, au carrefour. Cinquante voitures avaient déjà passé et personne n’avait jeté de bonbons aux riverains comme le veut la tradition. Les enfants se tenaient immobiles, oubliés, aussi stupéfaits que s’ils avaient été les témoins d’une catastrophe dont nous aurions été les victimes et, tandis que nous nous éloignions de ces spectateurs ébahis, ils nous offraient dans une autre langue le sourire qui nous manquait, comme s’ils voulaient compatir avec notre souffrance silencieuse et nous libérer d’une dette. Ils disaient merci de n’avoir rien reçu, oubliant même ce qu’ils étaient venus faire à ce carrefour et dans l’ignorance de ce qu’on leur devrait désormais.

Jean Prod’hom