(P. F. 2) Alice Rivaz

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On aurait pu imaginer qu’elle souffrait d’une conjonctivite s’il n’y avait eu au fond de ses yeux cette esquisse de sourire et le bouquet de lys blancs sur la cheminée. Et puis personne ne la voyait, accroupie sous le piano à queue noire, avec un livre qu’elle tenait enveloppé dans sa jupe à fleurs. Pan de mur jaune, échiquier sur la table ronde, la petite est cachotière, elle a dans une poche la lettre d’un de ses amoureux. La fenêtre est ouverte sur le jardin.
Quelqu’un songe au pied de l’immeuble à l’enfant qu’elle fut, tend l’oreille au bruissement de l’été, sourit sans regret aux bouts de romans qu’elle a écrits tout au long de sa vie, à son amour, à ses chagrins. C’est un prélude de Chopin, son visage s’illumine, tout semble si facile. Elle sourit de ses mensonges, monte en épingle les choses heureuses. Les murs qui l’entouraient se sont écroulés il y a bien longtemps, les épreuves traversées n’ont plus d’importance.
Elle continue sa route avant que la musique ne s’arrête, avant que n’apparaisse une hésitation sur le visage de l’enfant. On entend dans la descente de la chêneau les restes de l’averse du matin. Il y a tellement de choses qu’on ne dira pas, un nuage passe dans sa main, le vent seul touche à cette épure. Dans le jardinet un homme coupe quelques roses tandis que la femme passe, rassemblant d’une main, comme les miettes après un repas, les morceaux de sa vie dans son beau visage uni. Il y a des jours où les choses se font sans que personne ne placarde ses états d’âme.

Jean Prod’hom