Ce ne sont pas les tâches

Capture d’écran 2015-03-27 à 20.52.50

Cher Pierre,
Ce ne sont pas les tâches qui nous obligent à rester dedans alors qu’on voudrait être dehors, mais le mistral ; une matinée donc placée sous le sceau du tout et du rien autour d’une même table ; on déjeune puis on dîne en babillant de voyages ; de ceux qu’on faisait il y a une trentaine d’années, lorsque murs et idéologies opposées indiquaient qu’il existait de l’autre ailleurs ; des voyages qu’on entreprend aujourd’hui pour fuir un monde sans altérité, s’éloigner du même dans l’espoir de retrouver des particularismes locaux, sans savoir où, et comment revenir, les mains vides. Il y a eu 1991 dont on n’a pas fini de voir les effets.

Jean-Claude Hesselbarth

Edouard monte faire la sieste, Lucie va lire, Françoise met à jour un album de photographies. Je vais me glisser dans un transat sous le tilleul qui lance ses rejets, raie le ciel que traversent des lambeaux de nuages poussés par le mistral, il déboule de partout, comme une avalanche. Et lorsque les poussées du vent s’interrompent, montent du lit du Lez le roulement discret de ses eaux et des saules qui le bordent le chant des oiseaux.

La dernière douane

Depuis que le silence
n’est plus le père de la musique
depuis que la parole a fini d’avouer
qu’elle ne nous conduit qu’au silence
les gouttières pleurent
il fait noir et il pleut

Dans l’oubli des noms et des souvenirs
il reste quelque chose à dire
entre cette pluie et Celle qu’on attend
entre le sarcasme et le testament
entre les trois coups de l’horloge
et les deux battements du sang

Mais par où commencer
depuis que le midi du pré
refuse de dire pourquoi
nous ne comprenons la simplicité
que quand le coeur se brise

Capture d’écran 2015-04-02 à 22.22.17(Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, 1988)

Les branches nues des feuillus ont pris des couleurs, leur balancement donne le vertige. Je repense à la soirée d’hier, à la satisfaction de Lily, à celle d’Hesselbarth et à son air canaille, à la générosité d’Isabelle, à l’intelligence bourrue de Raboud, au visage transparent, aux yeux liquides de Jaccottet. C’est le moindre mal que l’on peut espérer d’un weekend pascal sans cloche ni commémoration, qui promet cette année encore, non pas tellement la venue de l’homme neuf mais, plus modeste, celle prochaine du printemps. Deux hirondelles ont tracé cet après-midi d’illisibles signes dans le ciel. Stéphane m’apprend qu’elles en a vu aujourd’hui au-dessus du lac.

Jean Prod’hom