La phrase m’enchante lorsque elle trouve sa pente

La phrase m’enchante lorsque elle trouve sa pente, régulière, ou lorsqu’elle se courbe, se raidit, fait mine de s’échapper ou est sur le point de s’égarer. Lorsqu’elle se ressaisit et se relance en avant d’elle, lorsqu’elle ralentit, par pallier, jusqu’à ce point où elle fait entendre à celui qui la lit qu’elle est sur le point de se taire.

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S’il n’y avait cette mécanique, je ne lirais plus, je n’écrirais pas. On a souvent relevé les affinités de l’écriture avec la marche; à raison, toutes deux sont aux prises avec des milieux continus.
Je songe à ce qu’il a fallu à Marcel Proust, Alain-Fournier ou Louis-René des Forêts pour atteindre le point haut d’où coule chacune de leurs phrases, de relance en patience, jusqu’à la fin, sans que rien ne soit abandonné.
Elles emmènent leur insaisissable objet avec la même nécessité que les eaux silencieuses du bisse, celles capricieuses du torrent, hésitantes du ruisselet ou presque mortes du canal, composant avec les dépôts qui s’accumulent dans leur lit ou tapissent leurs rives, les encombrent parfois un bref instant, les font déborder puis, bientôt reposer.
Comme l’eau et la marche, l’écriture est à elle-même son commencement et sa fin.