En marchant devant

En marchant devant et en donnant à voir au gamin qui le suit une manière toute à lui d’avancer dans la montagne, de la désigner et de la raconter, de rythmer son pas, de prolonger ou d’abréger les silences, d’avoir faim, d’avoir soif, d’avoir peur, le père livre au fils, qu’il le veuille ou non, son interprétation des vices et des vertus.

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Mais en acceptant, plus tard, l’invitation à l’accompagner sur l’autre versant, le rejeton reconnaît ce qu’il doit au père. Il le lui signale en lui tournant le dos et en prenant résolument les devants, en donnant à voir à celui qui le suit ce qu’il est devenu. C’est ainsi que le fils reconnaît sa position de donataire, avance au pas de charge, s’enfonce dans le paysage, allonge ou réduit le pas, balance ses longs bras, montre du doigt les nouveaux visages des montagnes d’autrefois. Il y aurait donc d’autres manières de considérer et d’empoigner le monde, voilà ce que saisit le père.

Tous deux ont pris place dans la lignée, l’ont acceptée, ont reconnu la filiation. Donataires et donateurs, ils vont pouvoir désormais aller côte à côte de leurs pas singuliers. Coexistence et succession. Si le père a reconnu une dégaine, un air de famille, il s’étonne de ce qui échappe en avant du fils, que celui-ci voit à travers les lentilles qu’il a polies en secret.

Chacun, orphelin, père de trois, mère de quatre ou sans enfant, est amené à passer par là, à occuper cette place creusée par ceux qui le précèdent et ceux qui le suivent, c’est ainsi qu’il entre dans la danse des générations.