Ça a duré toute la nuit

Ça a duré toute la nuit, au-delà même puisque le rêve m’a déposé il y a plus de quarante ans dans les pâturages qui surplombent verts et gras le village de Rossinière, du côté des Eterpis.

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J’étais arrivé mi-juin et devais y rester jusqu’à l’automne. Il pleuvait et la Tine de Cray débordait ; la journée avait été longue, j’avais aidé le patron à traire, fendu du bois, fait quelque photos des flammes et de la suie de l’âtre, écouté Europe 1, couru après les génisses qui avaient démonté la clôture.
La journée avait filé droit, il devait être 17 ou 18 heures. Nous étions dans l’écurie pour gouverner, la porte était ouverte sur la vallée de la Sarine lorsque le patron m’indiqua du doigt quelque chose qui se passait derrière mon dos. J’ai vu l’effroi dans ses yeux avant de me retourner, pour y échapper peut-être. C’était pire et silencieux : le chalet d’en-bas avait pris feu et flambait en plein jour comme une torche. On a couru, couru. On le sut plus tard, le berger avait fait une bêtise, on parvint à sauver le bétail.
J’ai passé la fin de cette sinistre journée à tenir les cochons éloignés du foyer qu’ils voulaient rejoindre. Lorsque les propriétaires du chalet sont repartis, il devait être plus de minuit, on a mangé un morceau de pain et de fromage, ils ont parlé, je suis monté sous le toit et me suis endormi dans le foin ; le malheureux berger s’était étendu sur la paillasse que je lui avais laissée, ils ont parlé jusqu’à l’aube. Lorsque je me suis réveillé sous les tavillons, il n’y avait plus de chalet en-bas, plus de berger non plus, mais un tas de bois calcinés, noirs et fumants.
Je m’y suis rendu à nouveau hier soir, j’ai couru, couru toute la nuit ; j’en reviens ce matin, épuisé comme jamais, il faut dire que je n’ai plus mes jambes d’autrefois.