Cher Pierre,
Alors que je marchais sur le chemin qui longe le Lez, un cheval blanc a tourné la tête; je l’ai regardé comme si je le voyais pour la première fois, la nuit tombait, il m’a regardé comme s’il me regardait depuis toujours. Nous n’avions rien à nous dire, il n’a pas bougé, je me suis attardé; il m’a semblé que s’il restait immobile c’était parce qu’il avait à faire lui aussi, entrer dans la nuit, seul, comme j’aurai à le faire bientôt moi aussi. Il ne me retenait pas, bientôt a regardé ailleurs comme pour me signifier qu’il était temps que je continue.
J’ai pourtant voulu retenir cette image avant qu’il ne s’en aille, en saisissant l’ombre qu’il projetait, et un peu de cette lumière qui nous a réunis, cette manière qu’ont les vivants de prendre congé avant de s’enfoncer dans la nuit, les yeux grands ouverts; mais là où j’avais besoin d’un langage, lui s’y glissait sans à-coup. Notre rencontre aurait pu s’éterniser, mais à quoi bon; je l’ai regardé encore comme si je le voyais pour la dernière fois, puis j’ai tourné les talons et continué dans l’obscurité jusqu’à la maison.