Le Biollay

le_biollay

Chamonix / 14 heures

Une adolescente s’émerveille des prix affichés par la direction du Mont-Blanc sur les panneaux dressés à l’entrée de l’hôtel: entre 210 et 1825 euros la nuit; la chambre, précise la mère à sa fille soudain déçue. Elles entrent bientôt dans l’église Saint-Michel, vide, d’une sobriété inquiétante – grandes huiles plongées dans l’obscurité –, on peine à imaginer la semaine de Pâques dans un tel décor. Aucun ex-voto sur les bas-côtés, aucun dans le transept, pas même dans le narthex. La montagne n’est pourtant pas si différente de la mer, elle répond parfois aux prières des naufragés, la foi en a sauvé plus d’un.
Une Espagnole consulte sur la terrasse de l’hôtel de Chamonix de la documentation touristique sur la Grèce. Un agent local conseille à la table voisine deux Parisiens qui hésitent à engager 800 000 euros pour un appartement d’un peu moins de 100 mètres carré rue Whymper. Ils craignent que le prix de cet objet. qui pourrait bientôt prendre de la valeur, prenne l’ascenseur, ils envisagent une stratégie avant de se séparer.
Ils ne paient pas de mine: l’agent immobilier, qui n’a rien du loup, descend en direction de la place Balmat; la femme s’éloigne, s’assied sur un muret pour téléphoner à son banquier, petite, cheveux gras, combinaison vert pomme, traces de boue; son mari, du même acabit, quitte la terrasse, traverse la place avant d’entrer par la porte principale dans le hall de l’hôtel du Mont-Blanc.
Son volume imposant jette une ombre sur la place bordée à l’est par les portraits de ceux qui ont fait Chamonix: Balmat, de Saussure, Henriette d’Angeville, John Ruskin, Roger Frison-Roche… Ceux qui sont vraiment morts ne sont pas là, ils ont trouvé refuge au cimetière du Biollay derrière la gare de Montenvers. Parmi eux des guides, des randonneurs imprudents, des alpinistes malchanceux et leurs sauveteurs, ils sont souvent très jeunes. Leur prénom et leur nom, celui du glacier où ils ont disparu, du sommet dont ils ne sont pas revenus ou de l’aiguille qui a eu raison d’eux rassemblent sur une même pierre le jour où tout a commencé et le jour où tout s’est terminé comme si, en ce lieu, leur mort se confondait avec leur naissance.