Coude de la Corcelette

Riau Graubon / 16 heures

Fin des vacances, bientôt lundi; on entend les gamins grincer des dents, s’assombrir, convaincus comme ceux qui les entourent qu’ils n’ont pas le choix, rien d’autre à faire. Sinon hériter, ils l’espèrent, de la fève du gâteau des rois et caresser Fleur le chat qui dort en-haut  au grenier.
Et puis se blottir dans la nuit, effleurer les plis de leur couette le regard tourné vers l’orient. Me voilà rassuré, l’air frais du matin finira le travail, les remettra au contact de ce dont ils se croyaient pour toujours coupés.

C’est au bord de la Thièle je crois, après avoir lu une brochure décrivant ce qu’ont vécu des détenus de la colonie agricole de la plaine de l’Orbe – des raisons de leur internement à leurs tentatives d’évasion, de leur santé et de leurs peines, de leur contribution à l’immense chantier de l’assainissement des marais – que j’ai eu le désir d’écrire sur une seule page, mais je ne suis pas poète, leur histoire avec dedans de la boue et de la brume, le passé, le froid et la neige, des rêves, des éclaircies, le clic—clac des verrous et des échappées belles, des loutres et des castors, la mort et les ciels changeants, les pommes de terre et les betteraves, et la vie qui est venue après eux, les traces qu’ils ont laissées et que le soleil de demain matin fera voir. Pour ne rien oublier et accepter, ensemble, ce qui fait cause commune. Comment pourrait-on mourir en paix sans cela?

Toutefois, je suis loin d’être opposé aux colonies agricoles en général; mais je ne les considère comme utiles que quand elles sont à la fois colonies agricoles et colonies de discipline; elles sont alors, je crois, un remède efficace pour détruire quelques-unes des causes de misère, et j’en parlerai plus tard avec quelques développements; je suis loin surtout d’être opposé au dessèchement des marais de notre Canton, et je hâte de tous mes vœux le moment où nous pourrons les rendre à la culture et effacer cette tache qui dépare notre beau pays.

Louis-Frédéric Berger
Du paupérisme dans le canton de Vaud, 1836

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