Jardin (Célestin Freinet XLV)

Riau Graubon / 16 heures

Ah! si on exigeait de moi que je ne pense, pendant des heures, qu’à l’étroit et régulier mouvement de ma faux, je serais contraint à une concentration, qui supposerait une tension nécessitant une proche détente. Je puis par contre faucher tout le jour, sans même que ce travail me paraisse monotone, à condition que ma faux coupe bien, naturellement.
Mais il m’arrive parfois d’oublier ce rythme et cette harmonie. Il est l’heure de dîner… Ma femme attend avec son plat de pommes de terre tout juste encore tièdes. Mais je m’obstine à terminer ce carré. Il y a alors concentration déplorable. Je ne vois plus qu’un but étriqué: terminer ce carré. Pendant quelques instants, plus rien n’existe autour de moi, ni le grillon que je blesse, ni le fruit que mon outil embroche, ni les nuages qui s’amoncellent derrière la montagne, ni le passant qui a pourtant hasardé une parole aimable. Mais aussi mon esprit se fatigue, mes nerfs se tendent, mon cœur s’agite, et je pousse un « ouf! » de soulagement quand la tâche est finie. J’ai besoin alors non seulement de repos, mais aussi de détente et de distraction pour chasser cette obsession, pour penser à autre chose.

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
La distraction n’est nullement une nécessité

Chauderonnet (Célestin Freinet XLIV)

Riau Graubon / 14 heures

– Vous avez bien mis en lumière les éléments communs aux travail-jeu et au jeu-travail. Mais que faites-vous de la distraction qui est pourtant, n’est-ce pas, une des raisons d’être du jeu?
– Ce n’est pas un oubli du tout, vous allez voir.
Distraire c’est tirer à côté pour disperser l’attention, l’arracher à une occupation ou à une pensée qui l’obsède. […]

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
La distraction n’est nullement une nécessité

 

Jardin (Célestin Freinet XLIII)

Riau Graubon / 19 heures
Si vous aviez observé les enfants avec moins de parti pris, vous auriez certainement été frappés par la façon totale et exclusive dont ils se donnent à ces activités. C’est comme s’ils n’étaient pas de notre monde. La pluie peut tomber, ou l’école sonner, ou la maman appeler en vain pour manger la soupe qui refroidit… Il faut terminer la partie, avant de l’abandonner, non sans un profond regret que tempère l’espoir d’une reprise si proche. Et de pauvres savants prétendraient trouver mieux! Ils imaginent des jeux méthodiquement classés par catégories, dont ils emplissent des livres destinés aux instituteurs ou aux moniteurs qui enseignent aux enfants à jouer. Et quand ceux-ci ont parfaitement compris les règles du nouveau jeu, et qu’ils sont délivrés de l’autorité qui l’impose, ils se réunissent clandestinement, déclenchent une comptine, et se donnent sans réserve à un de ces jeux-travaux qui restent pour eux l’idéale nourriture.
Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
Jeu-travail et instinct