Dans la marche

A côté des prêtres et des guerriers
qui se partagent
le fruit des travaux
de ceux qui n’ont bientôt plus rien
à côté des agriculteurs
des marchands et des fonctionnaires
spoliés et bientôt exténués
un paysan

il refuse net
de payer l’impôt
et se retire dans les marches de l’île
accueille les pauvres errantes
dans sa hutte
avec lesquelles il chante
confectionne des manteaux
en fibres de maïs
les amoureux les rejoignent

qui l’a vu se souvient
de l’éclat de sa patience
de ses mains creusées
par les heures
d’un labeur
obscur mais inévitable
de son pagne bigarré
brodé

presque rien
pas de bijou en or
de petites récoltes
et deux mots interdits
hégémonie et ascension

pas d’autre célébration
un verre de fermenté
au jour des ligatures
et un hymne
au jour de la pénombre

lui et ses compagnons
vécurent des bienfaits
que sécrètent les horizons étroits

je le dis
mais qui l’aurait dit
c’est eux
qui enrayèrent
sans qu’ils le veuillent
la désertion des bois
en plaçant un labret d’ambre
dans les mâchoires des loups
et en offrant leur liberté
aux bêtes de la basse-cour
trop longtemps captives

trois générations
se succédèrent
dans cette région de l’île
et puis plus rien

le chroniqueur
évoque la vie
de ce singulier personnage
en marge du récit
de la disparition
des petits dieux locaux
il ne dit rien d’autre des circonstances

la mémoire est oublieuse

Jean Prod’hom