Ce que les pierres retiennent

Amené à rompre avec la supposée continuité du temps au risque de succomber à un vertige, non plus celui du temps qui fuit, mais celui du temps qui est resté bloqué là-bas.

Si les images, les photographies, les souvenirs vieillissent, c’est parce que, incapables de retenir ce qui demeure, ils laissent filer le temps qui seul compte. On le voit dans les corps passés, on le voit aux visages, aux mains trop lourdes, aux jambes trop cassantes sous le poids des souvenirs qui se défont. Le gros du temps reste en arrière, par-delà les images qui ne retiennent que des ombres.

Rien n’a changé, on voit simplement les choses d’un autre lieu. Mais il aura fallu pour l’atteindre nous extirper de la glaise dont on est fait, faire ce pas de côté, et réaliser quelques voyages de circumnavigation pour retrouver les choses telles qu’elles sont, ce miracle en tiers qui nous est offert lorsqu’on revient bien après. Nous éloigner donc, nous égarer même, souvent, pour considérer enfin les choses en leur lieu, c’est-à-dire de ce lieu que l’on n’a jamais tout à fait quitté, aperçu pourtant comme un phare oublié qui nous fait supporter de manquer ce pourquoi on avait appareillé, sans regret, mais dont il faut bien s’approcher pour être enfin un peu avant de n’être plus.

Jean Prod’hom