Dimanche 27 novembre 2011

Il y avait foule le vendredi et le samedi soir : maoïstes, trotskistes, anarchistes de gauche ou de droite, situationnistes, hardis et souriants au Jour et nuit, au Mao ou au Tunisien, jusqu’à point d’heure, structuralistes, lacaniens ou deleuziens, disciples d’Hermès, cinéastes à la petite semaine, insatisfaits, girardiens agnostiques, écrivaillons pêle-mêle, vendeuses de fleurs, comédiens ou amateurs de LSD. En me rendant ce matin à la cinémathèque de Lausanne, j’ai repensé à cette foule de la ville ouverte des années 70. On s’est retrouvés plus tard dans le café jouxtant la salle où Freddy Buache organisait ses projections après qu’il nous eut déplacés de l’Aula du Collège de Béthusy à l’aile est du Casino de Montbenon. Après on s’est perdus de vue.
Le café est désert aujourd’hui, mais on y projette dans les sous-sols L’Autre côté du monde. C’est l’histoire de la Suisse humanitaire, celle de l’aide d’urgence et de la coopération, du CICR et de la DDC, Médecins sans frontières, Amnesty, Helvetas, Chaîne du bonheur, Caritas,… Les 80 acteurs choisis témoignent de ce que fut leur engagement, ils évoquent les blessures, les difficultés, les doutes, l’excitation, le courage, l’épuisement, les réussites, les révoltes, les malversations, les échecs, les joies, la perte des amis.
On doit cette manifestation à l’association Humem (humanitarian memory) qui l’a organisée à l’occasion des 50 ans de la Direction du développement et de la Coopération du Département fédéral des affaires étrangères. Ce film qu’on a pu déjà voir à Berne, à Genève et Zurich va voyager dès la fin de la semaine prochaine à Bâle, Saint-Gall, Lucerne, puis dans le reste de la Suisse en 2012 et 2013.
Ce projet soutenu par la Confédération – le budget de la DDC en 2008 s’élevait à 1,57 Millards de francs – l’est également par les cantons et de nombreuses organisations d’entraide suisse.

J’ai retrouvé ce matin quelques-uns des acteurs du vendredi et du samedi soir des années 70 à Lausanne, bien vivants à l’écran. Les associations d’entraide ont été pour eux comme des refuges, évitant ainsi le désespoir ou les combats extrêmes sans entamer leur volonté de changer le monde. L’un d’eux dit du CICR qu’il a été l’occasion d’une rédemption. C’est dire que l’aide d’urgence n’a pas seulement eu des effets à l’extérieur au lendemain de catastrophes sociales ou environnementales, mais aussi à l’intérieur des âmes rongées par l’insatisfaction, parfois la frustration et l’appréhension d’avoir devant elles un monde toujours plus vide, déserté par les idées qui les avaient nourries. Avant de succomber à l’abandon, ils ont décidé de ne pas abandonner ceux qui manquaient de tout.
Ces entretiens sont passionnants, c’est jusqu’au 2 décembre à Lausanne, ailleurs ensuite. Nous étions 3 dimanche matin : un enfant une vieille dame et moi. C’est trop peu.


Jean Prod’hom