Petit Parc

Lausanne / 14 heures

Oscar s’agite sous la Mussilly, il renifle les traces des sangliers qui fouissent le pâturage de Jean-Paul. Mais ce n’est plus l’heure, j’ai beau tendre l’oreille, ils ont filé, je ne vois rien, sinon des ombres et le jour qui se lève dans mon dos, rose pâle, découpant au chalumeau, orange sang, la ligne des Préalpes. La tiédeur d’hier matin n’a pas quitté les alentours, je croise le syndic, il se plaint d’une épaule. Françoise m’envoie un message, rendez-vous avec Elisabeth à midi place de la Palud. Arthur qui a une journée d’informations à l’EPFL me demande de le déposer aux Croisettes, on s’accorde sur le fait que seule une journée dont on a une vue d’ensemble et dont on a prévu les différents moments, et le jeu qui simultanément les réunit et les sépare, est susceptible de faire un peu de place à l’imprévisible.

En descendant des hauts du Jorat au lac, la température monte, les embouteillages et le tarif des places de parc aussi. Un pêcheur longe sur sa barque la promenade du port de Cully, Pascal et son amie m’attendent au café de La Poste – celui du Major Davel est en transformation. On fait le point sur nos vies, Pascal m’offre un tesson au motif précolombien, percé, tranchant, et un brunissoir taillé dans une pierre qui ressemble à tout sauf à de la pierre. Je m’assieds sur un banc, au soleil, j’écris ces mots, ils s’éloignent sur les quais. On se reverra dans un mois.

Il y a marché à la Riponne, je fais un saut à la BCU avant de retrouver à midi pile Elisabeth et Françoise. Il y a de la place au café des Alliés, à la Pontaise, qu’on rejoint à pied. On parle de tout, du plat du jour, des lentilles, de nos bobos, de Riant-Mont, de nos enfants, du magnésium, des vieux, de la mort, de la surdité des sourds et de celle des vivants, de Noël,… On redescend à deux heures par les Glaciers et Riant-Mont en faisant une longue halte au Petit Parc, sur le seul banc que le soleil éclaire et réchauffe. On scande des prénoms et des noms; ceux qui ont perdu le visage auquel ils étaient attachés donnent le vertige, les autres font sourire. Seuls les prénoms et les noms ne vieillissent pas.
Difficile de faire de cet ensemble d’images et d’ombres entr’aperçues, de traces et de mots remués autre chose qu’une chanson avec ses couplets et un refrain, c’est déjà pas mal. On se sépare à la Riponne et, tandis que mes sœurs vont faire un tour en ville, je file à Bussigny, mets la main sur une paire de chaussures de marche, basses, solides, discrètes. Il est 17 heures lorsque je branche la radio, sors deux casseroles, une poêle, des carottes, des poivrons, une boucle de saucisse et des pommes de terre, j’écoute la troisième d’une série de quatre émissions sur France-culture: des condamnés à de lourdes peines rencontrent des victimes dont la vie a été bouleversée; chacun dit ce qu’il peut dire, écoute ce qu’il peut entendre, et quelque chose se met a trembler, se remet en route à l’arrière et à l’avant de leur vie, jusqu’au bout de leur peine.

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