Les hommes et les dieux

Les aspirations des hommes
sont au diapason de celles des dieux

les dignitaires confièrent à des logiciens le soin
de déduire de ce principe l’ensemble des théorèmes
d’en calculer la puissance
d’en forclore les contradictions
d’en garantir la complétude

on confia à un groupe d’aventuriers
la tâche d’inventorier les aspirations des dieux
et d’habiles architectes conçurent le dispositif
qui devait permettre l’accès au ciel

malgré les tribulations des maîtres d’oeuvre
les travaux furent poursuivis
on y associa les populations voisines
plus ou moins volontairement
elles amenèrent les matériaux
se chargèrent du transport de la chaux
de la taille des pierres
on prit des sanctions contre les récalcitrants

on avait le sentiment que c’était la même chose
mais on espérait pourtant qu’il allait en être autrement
cette fois
on a beau dire mais les saisons reviennent

c’est ainsi que s’élevèrent trois rampes d’escaliers tressées
pierres de granite aux joints de sable mélangé à de la chaux
ces trois rampes devaient compter chacune un total de 269 marches
égal au nombre de jours de paix de l’année
moins les 9 jours maudits du bout de l’an
c’est-à-dire qu’ensemble la triple rampe avait 807 marches

l’oeuvre fut inaugurée au printemps de la troisième année
dura un printemps avant de s’effondrer

elle dure pourtant encore dans l’esprit des rêveurs
ils montent la nuit sur la plate-forme
d’où ils planifient la construction
d’une nouvelle triple rampe
qui devrait les conduire un jour
dans les étages intermédiaires du ciel
on peut se demander si tout cela a un sens

mais le peuple est fier et craint par-dessus tout le principe du déclin

Jean Prod’hom

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Tout autour des peines et des plaintes. Alors la vieille s’éloigne pour écouter celles du vent. Elle se souvient du corps de la baleine et du ventre des cathédrales. Faudra-t-il renoncer aux successions pour entendre enfin quelque chose aux choses ? être ailleurs, résolument ailleurs, ou l’avoir été?

Jean Prod’hom

Sans famille

Sous ta douceur couve une rage mise en veille. Et ce qui t’a été dérobé, ceux à qui on t’a arraché, ce dont il a fallu te détacher laisse un manque que tu ne combleras pas. Et pour peu qu’aucun tiers n’ait pris soin de ménager à ton intention un lieu pour calibrer ce manque – urne, tombeau ou mémoire –, tu ne t’y feras pas. Et tu seras de partout et de nulle part, ange et démon.
Il n’y a pas de place pour toi, pas de place pour moi, il n’y a jamais eu de place pour personne, sinon dans les terrains vagues de ta mémoire d’orphelin et dans le récit incomplet des successions auquel je suis enchaîné. A toi les oasis, l’étendue de la paix, la rage sans fond. A moi la descente des rivières, l’île mystérieuse, les obligations de la liberté.

Jean Prod’hom