Croise un chamois pas inquiet pour un sou

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Nuit hachée, un rêve qui tourne au cauchemar, une panthère – ou un jaguar – qui fait ami-ami avec Arthur. L’animal ne desserre pas les dents et lui fait les yeux doux. J’ai beau avertir le mousse que le gros grain ne signale sa présence à la coquille de noix que lorsqu’il est trop tard, le pelage soyeux du félin n’exclut pas sa voracité, en témoignent ses canines, la bête peut soudain virer d’humeur et faire sa fête au meilleur de ses amis. Le gamin n’y croit pas, ne veut rien entendre, en appelle à l’humeur stationnaire de son gros chat. Je me dois de l’avertir avant qu’il ne soit trop tard, le temps presse, me désole et songe à l’avalanche qui a emporté son ami au Bec des Etagnes la semaine passée. Ne lui dis rien mais lui fais voir ma nullité, éducation ratée. Cela aura suffi, Arthur éloigne sa peluche qui ouvre sa gueule et découvre ses canines derrière les barreaux d’une cage.
Ne vois et n’entends ce matin que des égocentriques doctrinaires à l’égo terne, liberté de choix et convictions d’apparat, surdité et lâcheté. Je ne suis pas dupe, c’est moi, pas mécontent dès lors de filer et de ne pas les charger des dépôts de mon humeur noire, je pars avec Oscar récupérer la voiture que nous avons laissée la veille aux Cluds. Poursuis jusqu’à Mauborget, reviens par Bullet, vais jusqu’à l’Auberson : de la grisaille et des visages défaits, village-rue désert. Fais quelques photos des cimetières, le chemin qui mène à celui de Bullet n’est pas ouvert, on attendra le printemps. Croise un chamois pas inquiet pour un sou sur le talus de la route des Verrières, en contrebas coule un ruisseau d’encre et l’acide ronge les ourlets blancs de son lit.

Jean Prod’hom