Le parquet

Parquet Riant-Mont 4

Pour Denis Montebello

« C’était l’époque des parquets. Des bals qu’on installait dans les villages, qui arrivaient comme les petits cirques, un matin ils avaient disparu. Ils revenaient à date plus ou moins fixe. »

Cinq francs c’était le tarif, paille de fer et huile de coude. Combinaison de lames aux V bancal, alternant leur débord sur le parquet à bâtons rompus du salon de Riant-Mont 4.
L’autiste que j’étais gravissait les pachons de ces échelles de Sisyphe, jusqu’à la frise d’encadrement – à laquelle j’ai repensé l’autre matin, en saluant Jean-David déchintrant son champ de betteraves.
Le pied coulissait sur la frise de chêne en prenant appui contre la plinthe ; la pantoufle de fer glissait sans effort sur l’encadrement, comme le mercredi après-midi avec Anne sur la glace de Montchoisi, main dans la main pour un dernier tour.
Petits tas de farine de bois, deux fois par année, deux fois deux heures ou deux demi-journées, je ne me souviens plus : le temps n’a ni cintre ni plinthe.
Il y avait bien sûr le bord crénelé aux mille promesses de mon salaire, que l’extrémité de mon index ferait bientôt rouler dans la poche, il y avait aussi le salon vide plein de cette rumeur que j’allais écouter parfois dans l’unique coquillage de la maison, mais il y avait surtout l’odeur de l’encaustique que ma mère appliquait au lendemain de mes travaux, au chiffon, et qui me submergerait lorsque je rentrerais de l’école.
Cette essence d’encaustique, qui se confond avec celle de ma mère, a occupé à nouveau la poche qui abrite mon coeur, ce matin, lorsque je suis entré aux Tailles, dans le salon de la vieille de Pra Massin.

Jean Prod’hom