Vallée des Temples

Agrigente / 11 heures

Le soleil se lève lorsque le train régional pour Agrigente quitte Palerme, la lumière et la rosée rafraîchissent les ruines et les friches industrielles de Bagheria; et ce qui hier était si laid brille ce matin à nouveau, il est huit heures, Arthur lit Moderato cantabile.
Le train quitte le littoral à Termini Imerese et trouve un passage dans la Sicile des bergers et des agriculteurs: courbes douces, longs chemins de terre avec ici et là des rochers qui affleurent – la Sicile fait penser parfois à de hautes vallées alpines. A cette saison les jaunes dominent, genêts, férules, centaurées, anthemis, cytises; les acacias sont eux aussi en fleurs. A la gare de Roccapalumba, des hirondelles entrent précipitamment dans un local de service par une bouche d’aération, d’autres en ressortent vivement et reprennent les imprévisibles lancers de ruban des premières.
Trois ou quatre gros bourgs, perchés dans les collines, tiennent leurs maisons serrées à cinq ou six kilomètres de la ligne du train. Ailleurs des bergeries et des remises sans toit donnent un air d’abandon à une terre que les cultures pourtant occupent sans laisser de vide et qu’enlacent des ruisseaux au large lit: céréales surtout, oliveraies, artichauts, vignes, prairies parsemées de sainfouin – qu’on appelle sulla sur l’île -, et partout, dense ou rare, l’orange et le jaune des citronniers et des orangers.
Tout serait aux couleurs du paradis si des eaux pâles et grasses ne coulaient à Cerda, Acquaviva, Campofranco, Aragona Caldare.
A Cammarata S.G. Gemini, une vache nous regarde, ce sera la seule du voyage. On aperçoit plus loin, haut dans les collines, un troupeau de brebis; à côté de la voie ferrée une vingtaine de poules derrière un treillis; l’humain est rare ce matin à l’intérieur de l’île.
On devine quelque chose derrière plusieurs couches de banlieue qui a la fois s’épaississent et s’écaillent, c’est Agrigente qui s’accroche à la dernière forte pente avant la mer; on aperçoit bientôt les temples qui peinent à trouver une place dans la bande de terre que l’UNESCO leur a cédée.
Le bus nous conduit devant l’une des entrées du site, près des restes du temple des Dioscures; on se regarde, c’est sûr, on ne fera pas long feu; on prend bientôt la tangente derrière le temple de la Concorde, pas de barrière mais des pois de senteur et des figuiers de barbarie, on file discrètement, comme des chèvres en-bas la pente; on franchit une ou deux clôtures près du temple d’Esculape avant d’emprunter un chemin à double ornière qui file en direction du sud. Deux ou trois kilomètres encore sur une sale route, c’est enfin la mer.

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