Bois Vuacoz (Célestin Freinet LXXIII)

Riau Graubon / 14 heures

Notre école sera forcément différente d’aspect de ce qu’elle est aujourd’hui. Vous procédez vous autres, comme ce réformateur qui, prétendant réorganiser son village, se contenterait de séparer les habitants par âge et attribuerait à chaque catégorie un local spécial, comme si l’âge était susceptible de déterminer, à lui seul, le processus d’action. C’est celui-ci, au contraire, qui suscite la constitution des groupes en vue du travail social : culture dans ses diverses spécialités, artisans, artiste, administrateurs, etc.
Notre école sera un peu comme un petit village, avec des salles communes où les élèves pourront se réunir le plus souvent possible ou, du moins, avec, au centre une salle commune transformable rayonnant sur des ateliers de travail, des salles de documentation et d’expérience. Autour du local encore, et constituant comme une zone extérieure d’activités, des logements pour l’élevage, des champs et vergers, un rucher, des terrains de sport et de jeux, la fraîcheur d’un ruisseau si possible.

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
Réalisations

Chemin des Grands-Prés (Célestin Freinet LXIII)

Froideville / 12 heures

En général, un peuple au travail est essentiellement paisible. Et c’est peut-être parce que les paysans sont parmi les rares humains qui ont encore la satisfaction de se livrer à des travaux-jeux fonctionnels, que la campagne est considérée partout comme une des assises principales de la stabilité sociale. Les protestations, les malentendus, les grèves et luttes diverses surviennent d’abord dans les entreprises où le travail a cessé d’être travail pour devenir presque exclusivement besogne obsédante. Parce qu’alors la besogne est désordre pour les mêmes raisons qui font du travail un élément d’équilibre et d’harmonie.Célestin

Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
L’éducation du travail

Baie de Dingle

Dingle / 19 heures

Cher Pierre,

Huit mois que notre voisin de table est à Cork, chez un cousin. Il est arrivé de Strasbourg avec un master de physique, une solide expérience dans le domaine de la restauration et un papier qui devrait lui permettre de piloter un jour un avion, dans l’armée, chez les pompiers ou EasyJet, peu importe c’est un rêve. On l’a rencontré entre deux averses sur la terrasse du Natural Foods Bakery où il travaille, au cœur du parc que la ville de Cork a ouvert sur la rive droite de la Lee.
Notre accent ne lui est pas étranger, il a atterri Il y a une dizaine d’années dans le canton de Vaud pour ramasser du tabac dans la Broye. L’homme qu ne se départit pas de son sourire est tout jeune, vingt cinq ans à peine ; il en est pourtant à sa seconde ou troisième vie, et on ne voit aucune raison qu’il n’en vive pas encore une douzaine ; depuis qu’il s’est établi à Cork il a mis de côté quelques centaines d’euros, il lui en faut encore plus de 40000, c’est le prix de la seconde partie de son brevet de pilote.
Il est 10 heures, on prend la N22 pour rejoindre Dingle, une petite ville de pêcheurs située à l’extrême ouest des îles britanniques, isolée, que tout oppose à celle de Lowestoft, à l’extrême est des îles britanniques. Sebald l’évoque dans Les Anneaux de Saturne : Lowestoft a été dans la seconde partie du XIXème siècle l’un des plus importants ports de pêche du Royaume-Uni et une station balnéaire connue mais qui, dévorée par la fièvre de la spéculation à la fin du XXème siècle, s’est retrouvée sinistrée. La petite ville de Dingle devrait avoir échappé aux vicissitudes et au destin de Lowestoft, même si la reine Victoria a fait un saut en 1861 dans la ville de Killarney, à l’entrée de la presqu’île, pour lancer celle-ci dans le concert des stations de villégiature. Les habitants de Dingle devraient avoir vécu le dos à la terre et les yeux dans le vide, loin des centres où s’est écrite l’histoire du capitalisme, tournés vers sa fin avant même d’avoir commencé. Des résistants sans le vouloir, qui n’auraient jamais cédé au charme de nouvelles installations balnéaires, d’une nouvelle jetée, de pontons de promenade, de nouveaux réverbères, évitant ainsi l’ombre des ruines, les baisses saisonnières, les façades rongées par l’humidité, les jardinets à l’abandon.
Nous sommes arrivés à Dingle dans l’après-midi, sous la pluie et dans un déluge de verts et de gris, nos hôte nous ont accueillis avec un grand sourire. Pour le reste ce n’était pas tout à fait ce que j’imaginais.