C’est un un bruit de crécelle, précédé d’un sifflement, qui me réveille, un rouge-queue, le rouge-queue qui niche au-dessus de la porte d’entrée, peut-être. Je me suis réveillé à 5 heures, somnole jusqu’à 6, le jour se lève. Il faisait rose hier soir, il fait rose ce matin. Louise nous régale d’une valse de Bartolomé Calatuyud.
Panique avant de partir à la mine, je ne trouve ni mes clés ni mon sac, le sol s’entrouvre sur le vide : Arthur va rater le bus, je vais devoir le conduire jusqu’à Mézières,… Retrouve bientôt le tout et mes esprits.
Le soleil apparaît au-dessus des Préalpes, comme hier, comme tous les jours, mais aujourd’hui les maisons se tournent vers lui, leur visage s’éclaire, celui des hommes aussi. J’écoute la radio, une femme raconte : Il y a plus de choses que je ne savais pas que de choses que je savais, alors j’ai décidé d’apprendre.
Constate que plus de la moitié des palplanches sont placées au Mottier. M’assieds dans l’un des 6 fauteuils rouges de la salle des maîtres, silence et voix basses, puis la sonnerie annonce la débâcle, la salle se vide, reste la stupeur d’un espace rendu à lui-même. C’est seulement alors que je rejoins les élèves. Leur soumets l’énoncé suivant : la phrase est à la langue ce que le mètre est au système métrique. On se penche ensuite sur le verbe être, son isolement dans le système, son comportement grammatical, sa puissance.
Je pars à 10 heures pour Moudon, avec une sensation de liberté, comme chaque fois que je vais ailleurs, là où je ne devrais pas être. Personne sur la route, ni à Syens, personne non plus dans les autres villages. Le centre de Moudon est désert, la circulation est interdite au pied du chevet de Saint-Etienne : deux ouvriers retirent d’une fouille une vieille ligne téléphonique.
Au cabinet dentaire il y a au contraire du trafic. Mais j’y entre avec la sensation d’être en vacances, une sensation qui s’étend et qui me conduit à penser que tout le monde l’est. Et cette pensée a pour effet d’alléger la vie de chacun, la mienne, la leur, le vide se conjugue avec la brise et les sourires, et j’avance sans rien déranger sur les pavés. Sors pourtant de chez le dentiste avec l’assurance d’y avoir laissé quelque chose : une dent. En échange, l’acceptation du temps qui passe. Le soleil est haut dans le ciel, il est midi.
Sandra et les enfant sont à la véranda, je mange un yoghourt. Elle a trouvé des billets d’avion pour Berlin, puis a déniché un hôtel. On sort la petite table verte et les chaises qui avaient passé l’été dans la serre. Quelque chose a changé dans le jardin, ce sont les couenneaux qui entouraient la demi-douzaine de carreaux dont on peinait à s’occuper. Je les ai retirés dimanche, j’espère secrètement que les cosmos et la rhubarbe reviendront.
Dans les prés, l’herbe nouvelle chasse la vieille filasse sèche. Je lâche Arthur en haut de Ropraz pour qu’il puisse chauffer les freins de son nouveau vélo. Il sonne six coups à l’église de Mézières, bois une camomille à l’auberge en corrigeant les derniers travaux rédigés par les élèves avant la semaine à Berne. Globalement du bon, du très bon travail. Ils sont loin encore pourtant de l’idée qu’une bonne charpente est celle qu’on ne voit pas. Ils ont tendance encore à travailler de proche en proche, ils ajoutent à leur construction qui ne tient pas des contreforts, étendent une nouvelle couche de dispersion par-dessus le salpêtre.
Le tilleul que le voisin a taillé il y a quelques jours donne l’impression d’avoir perdu la tête.
Jean