On a gagné une dizaine de degrés ce matin mais il n’y paraît pas. Edelweiss boit à la fontaine, il fait encore nuit. Lorsque j’accompagne Lili à la patte d’oie, les corneilles se font entendre avec un bel entrain, pour la première fois cette année et une demi-douzaine de moineaux s’ébroue près de l’étang. La couverture nuageuse s’est déchirée à l’est sur la chaîne des Vanils qu’on peine à deviner derrière la bande de stratus. C’est que nous, ici au Riau, on est comme entre ciel et terre. Au retour je vois cette brèche s’élargir et faire sauter le verrou au-dessus de la Mussilly. La neige a pris des teintes bleues, le fût des hêtres aussi.
Tente de régler les problèmes de la chaudière. Monsieur K, l’installateur, soupçonne que les tiges en caoutchouc qui plongent dans les citernes sont poreuses, l’air et la saleté remuée lors du remplissage des cuves remonteraient jusqu’au brûleur. Le fournisseur de mazout ne sait pas trop quoi me dire, je prends conscience que son travail consiste à vendre, rien de plus. Monsieur K passera l’un de ces prochains jours pour voir ce qu’il peut faire. Je prépare une tarte aux pommes pour midi.
Il fait trop froid encore pour s’installer dans la véranda, malgré le soleil qui a dégivré les vitres, Cacao le lapin n’en profite pas non plus, il se terre dans les copeaux. Fleur a pris les devants, va et vient entre les repousses dégarnies du gros tilleul qui se dressent dans le ciel. Enfoncé dans le canapé, sous des couvertures, je poursuis une bonne heure la lecture de ton Carnet – 2007, les heures sombres.
Ce midi, Louise pique-nique à la piscine, Lili mange comme un moineau, tout entière à la Saint-Valentin, Arthur me parle de Charlemagne sur lequel son interrogation d’histoire a porté. Il faut faire vite, on vit ici dans l’urgence, à mi-chemin de l’horaire continu et de la pause dodue dont on disposait il y a quelques décennies entre midi et deux. Une situation qui affecte les affaires des habitants des maisons foraines trop éloignées des centres, on nous a oubliés. Il faut que tu saches que les horaires de nos trois petits sont tous différents si bien que nous faisons chaque jour 12 allers et retours jusqu’au village. En nous organisant avec les parents des enfants du coin, on a divisé cette folie par trois.
Personne ne peut lever les yeux continuellement vers le ciel, il n’y a pas d’autres explications à mon étonnement lorsque je m’aperçois en début d’après-midi que le ciel a blanchi à l’ouest et qu’une fine gaze s’est déposée sur les pavés de la cour. C’est pourtant ce à quoi il faudrait s’astreindre pour comprendre à la fin pourquoi il y a plusieurs jours dans le même jour.
Me décide à faire le petit tour, je m’avise bien vite que la tête ne suit pas le corps, elle traîne en arrière. Je tente sans succès de la remettre à sa place. Vais ainsi jusqu’à la Moille au Blanc en essayant de ruser avec le bruit qui l’agite. C’est seulement lorsque je m’appuierai au dossier du banc détrempé, à côté de la fontaine recouverte de glace, qu’elle me rejoint en se calant tout naturellement sur mes épaules, comme un chien dans sa niche. Il ne faudra rien leur demander jusqu’au retour, ni à l’un ni à l’autre.
Sandra remonte du Mont lorsque je pars récupérer Louise qui crochète un bracelet de coton en m’attendant, assise au fond de l’abri, le bus orange dépose Lili un peu plus tard, un trajet encore pour remonter le mousse et nous voilà tous les cinq autour du poêle comme des grenouilles autour de la mare. Pas longtemps. La nuit tombe et, pendant qu’Arthur s’entraîne à Ropraz, je lis au café de la Croix-d’Or quelques pages de ton Carnet, au pas de course. Aux couples qui font leur entrée, le patron offre une flûte de champagne, c’est la Saint-Valentin.
Jean