Un air glacé m’accueille au bas des escaliers, la porte d’entrée est en effet restée entrouverte toute la nuit. La mauvaise humeur me gagne, incapable de la raisonner : le dernier qui est allé se coucher n’a pas pris la peine de tirer le loquet de la vieille porte qui s’ouvre au moindre coup de vent, je le sais, tout le monde le sait. Qui est donc monté se coucher en dernier ? Pas moi. A quoi bon tous ces efforts pour tenir le froid hors de la maison,… J’ai bien conscience que je file le mauvais coton mais la connaissance de cette vilaine habitude ne suffit pas à m’attendrir, le feu tousse, je m’agite, inquiet que le bus parte sans les garçons, précipitation, je m’en veux. Mes premiers pas dans la journée sont bien aigres.
Petite rédemption au retour. Louise joue en boucle une valse de Daniel Fortea. M’assieds près d’elle, submergé par la douceur de cet air simple, les égards que Louise lui porte, le soin qu’elle y met. Lili s’exerce aux majuscules. L’avenir est à nouveau possible. Tout est beau d’un coup, la route blanche jusqu’au château, noire de pluie au Torel. Je passe à la Goille régler la livraison des deux stères que F. nous a livrées il y a quelques semaines. La valse et le grand air assurent ma guérison.
Prépare avec les élèves le travail de la semaine prochaine, les persuade qu’il y a une vie en mon absence, qu’ils ont toutes les qualités pour ne pas chasser les questions qui tardent à trouver une réponse. La panne de courant au milieu de la matinée réjouit un bref instant les collaborateurs du collège, tout le monde stoppe ses activités, tous, comme si ces petites catastrophes redonnaient un peu de jeu à ce qui n’en a plus guère. Et ce qu’on a perdu de vue revient, on salue cette sensation de vacances qui nous rapproche, à la dérobée, de quelque chose qui fait partie de notre secret. On regarde avec le sourire ceux qui sourient. On rêve que cette panne dure, sème son joli poison plus loin.
Par la fenêtre on aperçoit le Jura desserrer l’étau mou des nuages, le soleil en profite pour s’engouffrer dans la Vallée de Joux, puis c’est au tour des fumées du quartier de briller bleues au-dessus des cheminées. Quelques minutes dans la classe vide, le temps passe, personne, ce n’est pas désagréable de ne pas être là, avec la trotteuse qui court dans le vide et hausse les battements de son coeur. Me lance dans l’air tiède de cette fin d’après-midi, satisfait d’en avoir fini, pressé de retrouver le Riau. On a gagné plus de vingt degrés en deux jours, la pluie a déglacé les alentours, le froid retrouve un nom, la neige colle, le noir se mélange au gris, on se réveille soudain dans le coeur d’une huître.
Jean