M’égare sur les hauts de Morges, un labyrinthe dont sont responsables la modeste Morgette et l’essor démographique. Traverse Tolochenaz et Lully, reviens sur mes pas, fais une brève halte à Vufflens-le-Château, plus longue à Monnaz.
Tourne autour de la maison qu’occupaient C., son ami, ses enfants, son mari, puis ses amants. Dedans un vivant désordre, dehors des cadavres de bouteilles. On construit autour mais le jardin n’a pas changé, nous y avions mangé un soir d’automne, nombreux, je me souviens, se savait-elle condamnée? Ou guérie ? Ou les deux ? Toujours est-il qu’elle est morte peu après. Aucun signe dans le cimetière de Monnaz, je le regrette, j’aurais voulu lui dire deux mots, une pierre, on abandonne trop vite ceux qui nous lâchent, et eux d’attendre nous oublient. Je continue par Vaux, Reverolle, Apples et Pampigny.
Il pleut lorsque je mange à midi aux Deux Sapins, j’écoute mes voisins, partagés entre les plaisirs du terroir – on mange bien aux Deux Sapins -, et le plaisir de se déchirer. Le second est plus vrai, plus intime, sonne plus juste et il durera certainement au-delà de la disparition de l’un des deux convives.
Le soleil revient, j’extrais quelques lignes du Retour qu’André Dhôtel confia au Temps qu’il fait. Les brouillards s’agrippent aux pentes du Mont-Tendre, montent jusqu’aux nuages que le vent d’ouest chasse et qui passent à la verticale de Montricher.
C’est l’innombrable, et curieusement tout pareil… On s’occupait surtout à emmagasiner de faux ou de vrais trésors… Il n’y avait pas à distinguer quoi que ce soit… Tout revenait presque au même… Une discordance pour ainsi dire originelle qui ne fit que s’accentuer dans la suite. Ma ville natale dans le voisinage se trouvait réduite à l’état de Pompei cependant que les fleurs des jardins éclataient au cœur des misérables ruines. La désharmonie était donc partout évidente et faisait rayonner des éclairages et des rosiers insoupçonnés… Une réalité divisée, bouleversée, toujours ressuscitée. Comment ne pas s’y attacher passionnément en oubliant tout le reste ? Pourtant ce n’est pas encore le fin mot. Il n’y a pas de fin mot.
La pensée est organisée comme un paysage, pensées d’altitude, pensées des tréfonds, vagues ou plaine, il convient de renouer avec notre ignorance, ou prendre de la hauteur et cartographier ce qui nous tient éloignés. Nous n’avons pas d’autre alternative.
Entre par effraction douce sur le chantier de la Maison de l’Ecriture. L’ambiance est au chantier, pourvu que ça dure. Je redescends au centre du village et continue sur Mollens, Berolle. Bière, Ballens, retrouve l’étui de mon appareil de photos à Reverolle. Poursuis juasqu’à Severy, Cottens, Grancy et Senarclens. M’arrête à Froideville, il est 18 heures 30.
Enseigner soit, mais quoi et comment. Je risque une réponse aujourd’hui : les traverses, la vanité, et ce qui les déborde, sans qu’on puisse faire autre chose que tirer de tout cela un peu de hauteur et guigner du côté de ce qu’on ignore.
Jean Prod’hom