N’en attendais pas tant. Reçois ce matin quelques mots de Grignan, avec une image, celle du manuscrit de l’un de ses poèmes : Les Gitans. Recto et verso de ce qui va sans remous avec et après nous.
Il y a un feu sous les arbres :
on l’entend qui parle bas
à la nation endormie
près des portes de la ville.
Si nous marchons en silence,
âmes de peu de durée
entre les sombres demeures,
c’est de crainte que tu meures,
murmure perpétuel
de la lumière cachée.
18 | XII | 53
Celui qui me confie être un vieillard, un vieillard qui ne trouve plus toujours le courage de lire puis de dire, et encore moins à celui qui somme tout n’est guère plus jeune que lui, ce qu’il pense des pages qu’il a lues et qui mériteraient un meilleur lecteur, au-delà de la passe rhétorique, souligne une fois encore que le feu n’est pas éteint. Demeurer reste le seul chemin qu’on peut faire soi-même.
Et je souris à penser, comme il me le rappelle de nulle part, que son père a soigné au Riau de Corcelles quelques bestiaux, mais que ni lui ni moi n’y étions. Ce sont ces mots au-delà de nos existences qui font transiter à la fin un peu de cette lumière cachée qui brûle sous les arbres en dehors de nos sombres demeures.
Chacun à son tour se retire, sans fermer l’oeil ni la porte à clé, laissant à d’autres ce qui est et ce qu’on a bien voulu leur confier, en les invitant à tout reprendre. Comme des ignorants.
Jean Prod’hom