Cher Pierre,
Du mouvement il n’y en a presque pas derrière les baies vitrées : les fumées avalées sitôt échappées du conduit des cheminées, trois drapeaux qui sèchent ; passent entre deux villas un bus et sa remorque, un scooter, plus haut dans le ciel une corneille en coup de vent.
Au premier étage du Mottier quelques soupirs, l’aiguille des secondes, une main qui se soulève, le froissement d’une feuille ; par la porte entrouverte le bruit tranchant d’un massicot, le ronflement d’une machine à café, un concierge qui chantonne. On se regarde en souriant, aucun d’entre nous n’a choisi d’être là.
Huit élèves ont été convoqués aujourd’hui, 13 ou 14 ans, pour des devoirs non faits, des violences, des oublis, des impolitesses, des indisciplines, pour une boule de neige.
Ils sont là, dit-on, pour remettre les compteurs à zéro ; mais je soupçonne, à les voir souriants et dociles, qu’ils sont là pour goûter au calme de ces mercredis après-midi d’hiver. Certains rêvassent, le collège est vide ; d’autres se lancent à corps perdu dans le travail qui leur a été imposé.
Les traits détendus, ils n’ont plus besoin de répondre de leur rang, des actes héroïques ou désespérés qui les ont conduits jusqu’ici. La désobéissance est derrière eux, plus besoin de faire la preuve de quoi que ce soit, réjouis seulement qu’on leur foute la paix. Certains ont à rester trois quarts-d’heure, d’autres une heure et demie.
La qualité de ce moment me pousse à demander à ceux qui en ont terminé, s’ils veulent rester une période supplémentaire, arguant qu’il fait bon être ainsi ensemble, chacun pour soi, à sa tâche, sans que personne ne vienne nous déranger. Ma proposition les fait sourire, pensez donc, l’un d’eux a 36 heures d’arrêt en suspens. On se salue.
Les deux élèves qui n’ont pas fini de purger leur peine reprennent leur tâche. Mais l’un d’eux s’endort, il en est à son vingtième devoir non fait, je ne le réveillerai pas. L’autre bute sur le poème que l’institution lui a commandé de rédiger : un poème sur la vie. Il me demande de l’aider, c’est quoi les rimes, à quoi ça sert, on discute. Nous sommes bientôt interrompus par le retour d’un de ceux qui viennent de nous quitter, il voudrait rester avec nous, et faire ses devoirs d’anglais.
L’après-midi se termine comme elle a commencé, sans bruit, avec à la fin un poème que l’auteur me fait lire.
La vie n’est pas toujours facile
Il y a parfois des choses difficiles
Des malheureux qui n’ont plus de famille
Plus de fils ni de fille
Comme en Syrie
Il a accepté que je le publie ici ; ces gamins qui n’aiment pas l’école sont décidément tout à fait fréquentables, ils méritent mieux. D’un peu d’attention, et peut-être, d’un lieu où on leur foutrait la paix.
Jean Prod’hom