Les enseignants de Prilly ne sont pas des frondeurs

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Les enseignants de Prilly ne sont pas des frondeurs, bien au contraire ; ils connaissent leurs obligations et appliquent leur devoir de réserve. Mais s’ils travaillent consciencieusement, jour après jour, ils demeurent vigilants.

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Ils se sont tus aussi longtemps qu’ils l’ont pu ; mais là c’est trop, ils se sont mis à parler avant qu’ils n’en aient plus le courage, ou la force. Mais regardez-les, ils plient, ne rompent pas. Ecoutez-les, ils restent dans la partie ; ce matin, ils sont redescendus à la mine, c’est du dedans qu’il écrivent.
Oh! pas grand chose, c’est la force de leur lettre, la force de ce refus de continuer ainsi ; ils n’ont plus de réserves, il faut bien qu’ils le disent. Assez parlé, assez proposé, nous ne demandons rien, aucune aide, aucune consolation. Ecoutez seulement ceci : non! ça suffit.
Cette lettre des enseignants de Prilly me rappelle un texte que Maurice Blanchot écrivit en 1958, Le Refus, qui débute ainsi : À un certain moment, face aux événements publics, nous savons que nous devons refuser.
Ça ne va pas, rien ne va plus, vous ne le voyez pas, nous devons le dire, sans mépris, sans exaltation, sans prendre le maquis. N’attendez rien de plus, on n’a rien d’autre à dire, le pire gronde depuis assez longtemps dans la place, on ne croit plus aux promesses, le canal est rompu.
Serait-ce déjà trop dire ?
On entend dire que tout va bien, le silence des élèves et de leurs parents l’attesterait. Mais, ajoutent les enseignants, nous ne sommes pas bien. Tout est dit, la force de cette plainte est coextensive à la valeur que ces enseignants accordent à leur mission et à celle de l’école. C’est bien à cause de cela, écrit Blanchot, que le refus est nécessaire.
Ils n’ajoutent rien, pas de nouvelles propositions, pas de replâtrage, de ravalement, de réparation. Rien, ou tout rependre à zéro : Il faut un engagement et un effort collectif, un dialogue dans le respect des élèves, des parents et des professionnels, il faut une conviction commune et une reconnaissance mutuelle entre les intervenants de l’école, C’est tout, c’est immense.
Les enseignants de Prilly ne désobéissent pas, ils disent non du corps et de la tête. Rien n’a changé, mais rien ne sera désormais comme avant. On ne veut plus se payer de mots, plus de rhétorique, on veut prendre à la lettre et à bras-le-corps les questions : réduction de l’inégalité des chances, marginalisation des plus vulnérables, souci de l’intégration d’élèves venant de milieux sociaux et d’horizons géographiques très différents, exigences d’un transfert du savoir correspondant à une société et à une époque de plus en plus rudes. Il n’est plus l’heure d’engager des transactions pour sauver la mise, plus de discussion, plus de réconciliation. Une seule chose, tenir ses engagements.
Le refus, écrit encore Blanchot, est absolu, catégorique… Nous avons été ramenés à cette franchise qui ne tolère plus la complicité. Il écrit plus loin : Ce qui leur reste, c’est l’irréductible refus, l’amitié de ce « Non » certain, inébranlable, rigoureux, qui les tient unis et solidairesNous devons apprendre à refuser et à maintenir intact, par la rigueur de la pensée et la modestie de l’expression, le pouvoir de refus que désormais chacune de nos affirmations devrait vérifier.
Voilà ce que veux entendre dans cette lettre exemplaire.

Jean Prod’hom

Lettre ouverte des enseignants de Prilly, c’est ici.