Photo | Arthur Prod’hom
Riau Graubon / 18 heures
Lorsque nous avons considéré durant un certain temps une couleur déterminée, notre rétine produit la couleur complémentaire. Comme tout phénomène sensible, celui-ci possède son correspondant spirituel; aussi nous est-il permis de penser que, dans notre rapport avec le monde, nous saisissons celui-ci comme un tout. Quand l’une quelconque de ses parties a requis démesurément notre attention, l’esprit appelle à soi comme un remède tout le reste qu’elle excluait.
Ce rapport traduit aussi notre faiblesse, qui est de ne pouvoir appréhender l’ensemble que dans le successif de l’existence. Et ce qui manque est d’abord saisi comme couleur complémentaire. Nous ne progressons pas en ligne droite, mais selon un mouvement sinueux, non point graduellement, mais d’un extrême à l’autre. Des écarts de cette espèce apparaissent comme inévitables; ils font partie de la vie, qui, de par sa nature, procède par pulsations, comme on le voit dans la respiration ou le mouvement du coeur. Nous parcourons cependant notre carrière spirituelle, pareils à l’aiguille de l’horloge qui se meut au battement alterné du balancier.Ernest Jünger, Le Cœur aventureux (traduction Henri Thomas)