Orny / 15 heures
Huit heures, bruit de pas et de feuilles mortes de l’autre côté de la rivière, à mi-hauteur et de gauche à droite; un fouillis de traits d’encre traverse un puits de lumière au milieu du bois noir de la Mussilly, petit trot; je fouille, ce ne sont pas des ombres mais des bêtes. Juste le temps de voir les pattes de la première qui raient la tache grise, courtes; la seconde suit, leste, petits pas et tête d’aurochs, corps puissant; les troisième et quatrième sont nées ce printemps; cinq, six, sept défilent, tête basse, décidées; huit, neuf, dix, je ne compte plus.
Une harde de sangliers, je crois qu’ils m’ont repéré, ils font demi-tour; je tends l’oreille en me déplaçant latéralement; et là, à cinq ou six mètres, dans les ronces, deux chevreuils me tournent le dos, écoutent eux aussi. Je ne mens pas, je n’y crois pas, c’est déjà trop, j’aurais mieux fait de me taire, ils prennent le large, je ne les reverrai plus.
Les sangliers eux n’ont pas quitté la côte escarpée, je les devine, veux en savoir plus, ils ne perdent rien pour attendre. Ruse: je fais une grande boucle pour les prendre à revers, sans bruit; j’y parviens; je les entends à nouveau mais ils sont de l’autre côté de la rivière, ils passent sur la bute d’où je les observais tout à l’heure, s’éloignent à la queue leu leu, même pas décidé, tête baissée, conscience tranquille. Formes noires sur grisaille, une douzaine au moins, vifs, agiles, souples, gracieux.
Pas bouger, rien toucher. Ne rien emporter sinon quelques traits, comme ces peintres animaliers qui se détournent des ombres pour faire voir plus tard, au burin, les traces d’un passage ou, avec de l’eau, un instant qui dure.