Posieux / 17 heures
Né à Paris dans une famille d’intellectuels catholiques, P-Y étudie quelques années la littérature et la géographie avant de réorienter sa vie. Il se rend alors à Fribourg où il étudie la théologie. C’est un peu par hasard qu’il s’engage ici plutôt que là, une intuition peut-être, ou ce que des amis lui en ont dit. Il s’y engage pour la vie sans que la prêtrise ne le tente, il sera frère et le restera, chargé d’abord du domaine agricole – un peu plus de 12 hectares – de la comptabilité également, depuis quelques années.
Il a déposé ses valises au bord de la Sarine il y a plus de vingt ans et se souvient du premier jour, à sarcler les carreaux du jardin de l’abbaye, entre Tierce et Sexte, puis entre None et Vêpres, à se demander ce que deviendrait sa vie hachée en si petits morceaux. Il lit de moins en moins, deux phrases ou un verset biblique suffisent pour la journée; il préfère le travail dehors dont il a toujours rêvé: les chèvres, les vergers, les vaches, les prés. Le temps passe si vite.
Ce matin il a chassé les taupes qui se sont attaquées aux racines des hautes-tiges plantées ce printemps: pommiers, poiriers, cerisiers, griottiers, pruniers. Cet après-midi il fixe les montants de l’appentis en bois et tuiles plates qui s’appuiera contre le mur du cimetière pour offrir une place ombragée aux visiteurs. Demain, il s’occupera des 400 mètres de haies mêlées de chênes et de merisiers, prévus dans la «requalification du site». Il avance au jour le jour sans les compter, comme si chacun d’eux contenait les autres.
Aujourd’hui le siècle aura raison de la règle, il a sauté none et vêpres, le travail ne pouvait pas attendre. Son silence m’a fait comprendre que les questions que je souhaitais lui poser n’attendaient en définitive que mes propres réponses, simples, patientes, en acte.