Aarberg / 13 heures
Le Jura est saupoudré de neige, des dessus de Bienne à ceux de Soleure, on dirait du sucre glace. Un coq chante lorsque je quitte ma roulotte, un deuxième lui répond à l’autre bout de Meienried. Le terre est grasse et colle aux chaussures, des tas de betteraves partout; l’usine d’Aarberg, toute proche, en presse 10 000 tonnes par jour.
Le ciel est encore bleu sur les Alpes mais ça ne va pas durer, j’ouvre mon parapluie après Dotzingen, une bonne heure entre grêle et crachin; la vieille Aar embarque, noire et silencieuse, les eaux qu’on a bien voulu lui laisser; un martin-pêcheur, qui semblait très pressé d’abord, fait une halte un peu plus loin dans la roselière, intéressé peut-être par les couleurs carnavalesques de mon parapluie.
Les canards sont timorés, j’aime lorsqu’ils s’éloignent sans prendre la voie des airs, s’abandonnent au courant, comme des jouets, de travers, discrètement; quand ils estiment avoir pris une distance suffisante, ils rejoignent la rive opposée et s’établissent un instant, là où le contre courant et le courant s’annulent. Les poules d’eau c’est autre chose.
Un marchand de candélabres fête les cinquante ans de son entreprise, il se félicite sur un panneau bleu d’avoir toujours voulu apporter un peu de lumière dans l’obscurité (Licht ins Dunkel).
Une vingtaine de kilomètres avec, pour finir, le chemin d’un seul tenant longeant le canal de Hagneck auront eu raison de mes jambes. Je prends le train de Tauffelen à Bienne, un autre de Bienne à Lyss et un troisième de Lys à Büren. Je marche dans la nuit jusqu’à Meienried, pressé de m’étendre sur un lit avec, sur le dos rond de la roulotte la pluie qui pianote, et tout autour le vent qui gronde.