Riau Graubon / 17 heures
Au terme de la finale de tennis à Melbourne, Roger Federer embrasse la coupe qui lui est remise; il n’embrasse pas qu’une seule fois ce corps inerte, comme d’autres l’ont fait avant lui, souhaitant ainsi toucher une fois des lèvres le visage glacé et clos des morts, mais il l’embrasse à plusieurs reprises, presque fougueusement; il la tient serrée contre son coeur, puis l’approche une nouvelle fois de son visage, l’embrasse encore, encore, jusqu’à ce qu’il s’avise de son égarement et s’interrompe en grimaçant. J’ai cru un instant qu’il allait la jeter par terre.
Un seul baiser sur la joue froide et cireuse d’un mort devrait suffire à ne jamais vouloir recommencer. Qui l’a fait une fois s’en souvient toute sa vie.
Je passe quelques heures dans l’enceinte de l’abbaye de Hauterive, il fait beau; Pierre-Yves bataille avec les taupes qui mettent en danger les jeunes fruitiers; plus loin des chèvres mâchouillent le foin glissé sous leur abri. Je détaille les poteaux, pannes, chevrons et voliges de l’appentis qui, recouvert de tuiles plates, offrira en été un peu d’ombre aux visiteurs. Sur le mur auquel l’appentis s’adossera demeure l’empreinte laissée par une vigne vierge et, sans corps, les pousses printanières s’accrochent au vieux crépi. Tout autour du bâtiment principal, les grands arbres ont été abattus et laissent la place à de jeunes pommiers, poiriers, cerisiers, griottiers, pruniers.
Pierre-Alain Meier, Adieu l’Afrique, 2017