Beaucoup de gens de ma génération ont jeté la boîte à trésors de leur enfance au prétexte qu’elle pèserait trop lourd lorsque viendrait le Grand Soir. Ce geste un peu fou – de couper les ponts et jeter par-dessus bord le gros de ce qui nous a fait – aura eu le mérite, le moment venu, de nous obliger à recueillir avec le plus grand soin ce qu’on avait laissé échapper sans le vouloir: un matin gris, un parfum de cannelle, une petite luge, ce qui reste lorsqu’on n’a plus rien. On s’avise alors que le jour ne se lève qu’avec le jour qui se couche; certains bonheurs tiennent tout entier, en hiver, en la résurrection du printemps. Tout ne serait donc pas perdu, il serait temps encore de rassembler les minutes égarées qui sont parvenues jusqu’à nous.
Voilà ce à quoi m’ont fait penser ces Wildblumenlues ce matin avant d’aller me promener du côté des Censières. Un petit livre dans lequel Monika Langhans se promène dans le Jorat une valise à la main, entre bois et clairières, fleurs et poèmes. On se souvient avec elle de ce qui n’est plus: cultes, pintes, épiceries, jardinets, dentelles, soie et taffetas – mais aussi peines et fléau. Et onseréjouit de ce qui demeure: le cerisier en fleurs dans le miroir de la fontaine, les nuages dans celui d’une flaque, les balsamines et les petits fruits, le noyer dans le pré. On y respire, le long de poèmes à pente douce, l’odeur du foin, de la terre et des sous-bois, on y goûte la simplicité des jours aigres-doux.