Dégel



La douceur de la veille et le soleil de l’après-midi ont transformé le ruisseau porté disparu depuis quelques jours en un filet d’encre noire que la neige n’a pas réussi à effacer. Hier il a dessiné la première lézarde, l’a élargie ce matin. Il retrouve son lit d’avant les nuits blanches et coule désormais la tête hors de l’eau.
Il grignote sur les deux berges la part de neige qui le fait grossir. C’est sûr il écrira ce soir dans son lit sombre quelques belles promesses. Pourtant le ruisseau ne chante pas, c’est pour plus tard, il médite plutôt, tout à son offensive souterraine, il ne prend aucun risque, le bois il connaît, il emprunte le trajet qui a toujours été le sien, il contourne sans ruse les fûts sombres avant de disparaître dans le creux en-dessous des nouvelles plantations.
L’abondance du duvet tout autour ne résiste pas, le manteau pied de poule fait voir sa doublure mitée, détrempée, les brindilles et les feuilles mortes en creusant d’innombrables cupules donnent un coup de main aux grands travaux du renouveau. Tout est noir tout est blanc au bois Vuacoz.
Dans quelques semaines le sol s’amollira, on se couchera dans la mousse et les traits d’encre s’éclairciront, rubans d’argent liquide sur lesquels flotteront les morceaux du ciel suspendu, avec dedans les nuages qui passent.

Jean Prod’hom