L'atelier

Qu'on vous laisse entendre

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Qu'on vous laisse entendre, un jour, que vous n'êtes pas indispensable dans l'exercice de vos fonctions - que vous ne l'avez même certainement jamais été, malgré votre engagement de tous les instants, - ne manquera pas de raidir votre bonne volonté et de mettre à mal votre orgueil.

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A l'inverse, que vous vous en avisiez un jour, sans l'aide de personne, et que vous concédiez en toute bonne foi qu'un autre aurait pu s'acquitter de votre tâche avec les mêmes résultats et un égal bonheur, a la vertu de vous libérer sur le champ d'une imagerie pesante et de vous rendre à nouveau le monde dans toute sa largeur. Vous voici prêt à déposer les armes et à lever les yeux au ciel.

Jean Prod’hom

Donner corps à cette voix qui nous précède

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Donner corps à cette voix qui nous précède, que nous hébergeons quelque part dans la tête et que nous sommes seuls à entendre ; une voix qui pousse et appelle, cherche un passage à ce qu'elle ne saurait dire sans notre aide ; une voix à laquelle nous nous devons de rester fidèle, en lui prêtant une langue qui n’est pas la nôtre et qui sonne creux, qu’il s’agit de tendre et de tordre aussi longtemps que la voix, prisonnière, ne la fasse revivre en l’irriguant. L’une et et l’autre trouvent alors leur compte, sans contreforts : « J’ai fait mon job, je peux aller marcher. »

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Jean Prod’hom




J’ai appris plus tard

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J’ai appris plus tard que ses forces s’étaient mises à décliner et qu’elle s’était détachée depuis quelque temps déjà des affaires du monde, de ses amis, de sa famille. Ceux-ci avaient rapidement compris que personne ne la retiendrait, c’était à prendre ou à laisser, et qu’ils peineraient à la rejoindre là où elle s’était établie, dans une insouciance et une légèreté à laquelle seuls goûtent les vieux. Elle n’écrirait plus.

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J’habitais avec les miens tout près de chez elle, et j’avais lu, à mesure qu’ils paraissaient, l’ensemble des écrits qu’un éditeur fidèle et soucieux fit connaître trente ans durant, emballé par les mondes que ses proses et ses poèmes faisaient naître, par les paysages qui m’étaient familiers, et surtout, je crois, par leur inimitable mélodie.
Lorsque je me suis hasardé du côté de Pra Massin, elle avait, depuis quelques années déjà, tourné le dos à l’écriture ; mais elle semblait ne rien avoir abandonné, elle portait à bout de bras quelque chose qu’elle avait fait voir et entendre en écrivant, cousait de silence et de lenteur le coin de terre et la fermette qu’elle habitait, au milieu des objets familiers sur lesquels elle se penchait encore, mais tout autrement qu’autrefois, lorsqu’elle les invitait à rejoindre ses songeries et le petit bureau de chêne, sur lequel ne restent aujourd’hui, dans sa maison presque vide, qu’une ou deux enveloppes ouvertes, des récapitulatifs et d’inutiles formulaires.
S’il m’a bien fallu admettre que le manque de forces fut pour beaucoup dans sa décision de renoncer à écrire, la proximité soudaine de tout ce qui l’entourait, qui accompagna son déclin, n’y fut pas pour rien non plus.
Elle notait pourtant, au cours de la journée, les quelques mots qui, parfois, faisaient halte dans sa gorge, et qui trouvaient sans effort la place qui était la leur : deux ou trois phrases qu'elle déposait d'une écriture hésitante sur un feuillet qu’elle détachait du bloc-notes qui traînait sur le buffet de la cuisine, qu’elle ne retouchait plus, avant qu’il ne rejoigne, loin de toute idée de livre, un fond de tiroir ou le tas de papier à recycler.
Je m’étais risqué à lui dire, alors qu’on se connaissait à peine et que notre amitié cherchait ses voies, que je le regrettais ; j’aurais voulu en effet qu’elle s’engage une nouvelle fois dans une écriture au long cours. Je me suis ravisé lorsqu’elle m’a regardé de très loin, indiquant qu’elle ne se trouvait pas là où je croyais. Je me suis tu sans rien ajouter à ma maladresse, renonçant même à lui dire combien ce qu'elle avait écrit m'avait nourri.
Quelques semaines après, alors que nous marchions sur le chemin des Tailles, elle me dit qu’elle ne regrettait rien ; quelque chose s'était refermé derrière elle, comme un rideau de fer d’une boutique de quincailler, mais sans faire de bruit ; elle n’avait jamais eu besoin de dire adieu au langage, l'écriture l’avait abandonnée assez soudainement ; elle n’y voyait aucune perte, c’était comme un enfant lorsqu’il quitte la maison, ou un amour qu’on oublie.
Elle ajouta qu’elle lisait encore, un peu, mais ne parvenait que rarement à donner un corps à ce qui était écrit ; elle éprouvait pourtant le plus vif plaisir à tenir un livre dans ses mains, comme on tient un bol de terre ou un sécateur, un chapelet ou un mouchoir. A la fin, disait-elle, un livre fermé vaut mieux qu'un livre ouvert.
Qu’arrive-t-il lorsque vie et poésie, avec la vieillesse, se confondent? Cette question, m’a accompagné avant l’heure, en vivant dans les parages d’une poétesse qui s’est tue, ne laissant pour réponses que quelques feuillets sur un buffet, que j’ai lus, lus et relus, et dont je me souviens.

Jean Prod’hom

Peu de choses distinguent la durée d’avec l’étendue

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Peu de choses distinguent la durée d’avec l’étendue, par quelque bout que ce soit ; l’une et l’autre occupent une même région, au-delà de ce qui semble accessible ; une région en direction de laquelle notre regard tend machinalement lorsque nous nous retirons de la partie ; que nous pourrions rejoindre si nous en prenions le temps, immobile et invisible. Forme sans bord, aux innombrables centres, qu’on devine lorsque le travail, la solitude, la fatigue, ou simplement les circonstances nous y conduisent, de l’autre côté, de l’autre côté de la nasse. De cette nasse si étroite que les regrets ne passent pas. Quelque chose se lève alors, s’étend, déborde, rassemble les fragments ternis par nos oublis et rongés par nos affairements, leur offre un peu de paix et renouvelle les alliances.
S’y rendre ou demeurer où l’on est, qu’importe, le chemin revient sur lui-même, embarque l’étrange et le familier, rabat ce qu’on a vécu à ce qui est à vivre : mêmes passants, mêmes bassins, mêmes ruisseaux, mêmes obscurités.

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Jean Prod’hom

Durer le temps qu’il faut

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Durer le temps qu’il faut, ni pierre ni éphémère ;
calculer, évaluer, ne pas perdre de vue les unités ;
quitter la partie.

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Jean Prod’hom

Les lieux de notre enfance

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Les lieux de notre enfance se confondent avec elle, à la fois toute et ce qu’il en reste. Ils ont échangé leurs couleurs et leurs ombres, déposées là où nous avons passé depuis, pour n’en former qu’un seul, dont l’étendue se prolonge jusqu’à aujourd’hui et qui, à la faveur d’un demi-tour et d’un long détour, nous invite à passer d’un coup du lointain au proche, du familier à l’étrange, comme sur une bande de Möbius.

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Jean Prod’hom

Les deux amis se retrouvent chaque dimanche matin

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Les deux amis se retrouvent chaque dimanche matin, s'en réjouissent, marchent, ne se parlent guère ; d'être ensemble là, au bord du lac, suffit. Ils vont et viennent sur les grèves orphelines, l'un fait goutter deux mots de temps en temps, l’autre sourit, en ajoute une paire ; on les voit lever la tête, ils se regardent, rient comme des bossus avant de retourner dans un silence qui les porte plus loin ; un silence qui les accompagne avec le jour, le ciel et le lac qu'ils longent.
Les habitués racontent qu'ils détiennent un secret. C’est en réalité l'inverse, ils en sont délivrés et se maintiennent là où les autres vont. Il y a des mots qui mûrissent et tombent comme les pommes dans le verger, qui font vivre comme le vent la mer.

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Jean Prod’hom

Une traversée

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Une traversée
à flanc de coteau,
d’un seul tenant.

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Jean Prod’hom

Reprendre l’examen

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Reprendre l’examen
comme au premier jour,
sans songer, de ce côté-ci, à en voir la fin.

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Jean Prod’hom

Lorsque je suis retourné au Clos-des-Saules

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Lorsque je suis retourné au Clos-des-Saules, quelques semaines après le décès de celui qui m'avait aidé à ouvrir les yeux tandis qu’il se préparait à fermer les siens, seul, le temps d’une saison, sans prêter attention à ma présence et à l'intérêt que je lui portais, tout le personnel, les infirmiers et les infirmières m’ont accueilli avec le sourire.

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Le temps avait passé et j’ai bien vite remarqué qu'ils avaient oublié celui que j’appelais Monsieur, aussitôt que sa chambre avait été occupée par un nouveau pensionnaire. Je leur ai demandé des nouvelles de Calou que je n’avais pas aperçu à mon arrivée ; il avait déserté l’aile de l'établissement et, les beaux jours venant, passait de longues heures, la nuit souvent, autour et dedans le réduit du jardinier. J’ai bu un thé avec l’infirmier-chef, avant qu'il ne me quitte pour répondre aux tâches qui l’attendaient ; c'était vendredi soir, il avait hâte de rejoindre sa femme et ses enfants pour un long week-end. Le soleil glissait derrière les épicéas et les sapins blancs de la Montagne du Château, hautes sentinelles au-dessus desquelles passaient de longs nuages blancs.
Dans le livre d'or que j’ai feuilleté, depuis la fin comme il convient, j’ai croisé les visages des deux pensionnaires morts depuis le décès de Monsieur, photographiés à l’occasion d’une de ces fêtes organisées par les employés, qui le réjouissaient mais auxquelles il ne participait pas ; chacune de leur vie était évoquée en quatre ligne par le biographe du lieu, qui soulignait leur gentillesse, leur discrétion et leur courage. Quelques écritures malhabiles venaient ajouter l’un ou l’autre des souvenirs qui avaient réunis ces vieilles gens et qui seraient bien vite oubliés.
Ces deux doubles pages recouvraient celle qui avait été consacrée à Monsieur, presque blanche, accompagnée d’aucune photographie. On pouvait lire les dates de naissance et de mort, le prénom et le nom de celui qui aurait pu être un inconnu. Mais Monsieur habitait désormais les alentours auxquels j’aurais, moi aussi, si les forces ne me manquaient pas le moment venu, à m’y confondre. Le blanc de cette double page, c’était ce paysage qu’aucun nom, formule ou poème ne pouvait retenir, silence rappelant que ce Monsieur avait été un concentré d'être qui avait tenu bon dans sa nudité, en consentant à n’être à la fin qu’ombre et lumière coulant aux quatre coins de l’horizon.

Jean Prod’hom

Je devine derrière les lourdes persiennes

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(Poèmes de Monsieur)

Je devine derrière les lourdes persiennes et le ciel transparent, plus loin encore, les jours capricieux qui roulent des piécettes d’argent, le ruisselet et les pâturages, les myrtilles de Planajeur, le beurre d'Emaney, tandis qu’un interminable cortège déroule dans la plaine ses saveurs monotones ; ligne droite réglée sur les digues du fleuve, que regardent passer depuis l’ancien chemin de halage une poignée d’hommes indisciplinés. Mais le jour bientôt se lève, sur la mer et ses îles, ondule et pousse sa vague bien au-delà du soir.

Jean Prod’hom


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Monika Langhans, Copeaux de bois, Riau Graubon

Ce qui me manquera à la fin

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(Poèmes de Monsieur)

Ce qui me manquera à la fin, ce n'est pas tant les rivières ou le ciel, les prés ou les bois que j'irai rejoindre – , mais la ville et ses inconnus, la ville qui s'éloigne là-bas, la promesse qu'elle représente.

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Jean Prod’hom

Au fond du potager

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Ne pas demander au ruisseau de faire déborder la mer,
ne rien demander à la poésie ;
lui faire son lit.

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(Poèmes de Monsieur)

Au fond du potager les douves d’un vieux tonneau ; dans une coupelle sur le radiateur une rave, chaire rose attendrie, vin cuit de sucre candi.

Le langage est mal taillé, ce qui reste le déborde de partout ; j’aboute quelques mots, ni mie ni galets ; cintre les phrases larges d’une barque creuse, sans quille ni lest.

Entre fleurs et ruines.

Jean Prod’hom

Faire quelque chose

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Laisse libre la porte dérobée
du théâtre intérieur,
elle peut un jour servir.

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(Poèmes de Monsieur)

Faire quelque chose, faire quelque chose pour autre chose, s'arracher à l'une pour accéder à l'autre. Jouer, crier, courir, obéir, écouter, lire, dire, séduire.

Les promesses sont des chants et mes égarements des souvenirs. Fini, la parenthèse ne se refermera pas, je sors, lento, du dedans.

Avec quelques mots et beaucoup de blanc.

Jean Prod’hom

Le soleil a décroché

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Retrouve enfin ce que j'avais égaré ;
avec la soudaine conviction
que j'aurais pu m'en passer.

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(Poèmes de Monsieur)

Le soleil a décroché ce matin, comme le cheval aux échecs ; on l'a aperçu un bref instant entre les deux Vanils. Nous sommes plusieurs, dans la maison, à nous tourner avant l'aube du côté de l'orient. C’est moins qu’attendre.

Je suis allé à la fenêtre, puis au parc ; les deux bouvreuils n'y étaient plus, le jardinier taillait les marronniers. On n'a rien dit, nous comptons pour si peu.

C'est mieux ainsi.

Jean Prod’hom


Je suis descendu cet après-midi

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Quelque part à l’intérieur du jour,
une porte.
Elle y conduit.

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(Poèmes de Monsieur)

Je suis descendu cet après-midi à la cafétéria, le soleil lançait ses rayons ; ma voisine de chambre était assise à la table du fond, penchée sur un carnet, un crayon à la main, Samuel un plus loin. Je suis remonté, ils cherchent des mots cachés.

La bise s’est levée, Calou a établi ses quartiers. Il ne s’est pas aventuré très loin, s’enroule dans les plis de la couverture au pied de mon lit. Une paire d’heures, puis s’en va, sans un mot.

Chacun pour soi, dans la lumière, la porte entrouverte.

Jean Prod’hom

Deux coups au clocher du collège

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S'il était clé d’évasion,
un seul livre suffirait.
Non non ! les livres ramènent à la maison.

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(Poèmes de Monsieur)

Deux coups au clocher du collège, une rumeur gronde, monte, bifurque ; les cris deviennent clameur, se déplacent comme une nuée d’étourneaux avant de disparaître.

Le parolier a fait sa visite hebdomadaire. Il m’a raconté une histoire dont il ne restait que la charpente. Il ignorait tout du poitrail de la grive.

Un livre est ouvert sur ma table de nuit, ouvert comme une parenthèse. Pas la force de lire, pas la force de le fermer. Pas un mot non plus, me voici bientôt invisible à moi-même.

Jean Prod’hom

Avant qu'on m'accueille ici

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(Poèmes de Monsieur)

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Avant qu'on m'accueille ici, à bonne distance du ghetto urbain où se négocient nos sursis, je suis retourné dans les endroits qui ont nourri les peurs que j'ai voulu fuir et qui m'en rendaient captif. Il fallait bien qu'un jour mourir réintègre vivre au voisinage des bois et des clairières ; c’est là sur le seuil, dans la passe que l'horizon soudain s’est élargi.

Froissements de semelles sur la neige, claquement de portière, le bus démarre. Calou sommeille sur un coussin au pied du lit, les tulipes rouges ont perdu leurs pétales. La nuit tombe, l'écran de la télévision donne à sa manière des nouvelles du monde.

Je me souviens de la Haute Engadine, les montagnes se dressaient sous le ciel flambant neuf et nous, couchés dans la mousse et le trèfle, entourés de linaigrettes, nous regardions la paix descendre des sommets, en chute libre, et nous la sentions respirer dans le ventre de la terre.

Jean Prod’hom

Une mésange picore

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(Poèmes de Monsieur)

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Une mésange picore dans la mangeoire du tilleul, l’air est froid et les chicanes ne l’ont pas nourrie. Les cris des enfants, là-bas, font penser aux chants des oiseaux de la volière. Partout le lointain, le détaché, le séparé qui fédère ceux qui n’ont plus rien. Avec une gorgée d’eau froide et l’image de grands draps blancs pincés à l’étendage.

Je suis un animal désaltéré, fatigué, désarmé. Le vent d’ouest ramène des parfums âcres, c’est un feu de brindilles et de bois mort mis en tas à l’arrière de la maison. Je t’imagine assise sur une chaise ; il n’est plus temps, disais-tu, de savoir si on a été à la hauteur, nos peurs se sont évanouies.

A la fois plus et moins, bientôt rien, mais sans partage.

Jean Prod’hom

Le réel est bel et bien sur ses appuis

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(Poèmes de Monsieur)

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Le réel est bel et bien sur ses appuis, mais brise fait danser ce matin rideaux et branches du tilleul : il y a du jeu. Ni fable ni sous-titres, mais une bande passante faite d’un seul tenant.

L’air circule entre les murs porteurs, l’irréparable et les regrets reposent au fond du sablier. Je me tiens immobile, ne rien toucher, tout pourrait capoter. C'est seulement lorsque tout a été dit que le silence du dedans se mêle à celui du dehors.

Ne t’inquiète pas des largesses du tilleul qui bourgeonne.

Jean Prod’hom

Un croissant de lune

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(Poèmes de Monsieur)

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Un croissant de lune décolle des Vanils la fine paupière du ciel accrochée à l'autre bout de la nuit, le jour s’y engouffre ; personne ne songe à refermer la porte, j'entends les pas d'une infirmière, le soleil se lève.

Ce ne sont qu’images - ellipses, trompe-l’oeil, voyelles et consonnes - qui s’effaceront avec la nuit.

A moins que le soir ne tarde à venir.

Jean Prod’hom

Rue des Glaciers (Lausanne)

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Place du village. Bertrand sort de la laiterie, j’y entre. Il monte tout à l’heure aux Rasses avec sa famille, je monte après-demain aux Marécottes avec la mienne. Salutations chez toi, salutations chez moi. Salut, salut. Les cloches sonnent. Check ! On rit.


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Matinée à Riant-Mont, à la Colline d'abord : je commence par un examen attentif des murets, de la pelouse, de la piste cendrée, des treillis ; de la pente qui conduit de la cour de l'école au terrain de foot, je note la disparition des cages de but. Sur le fond rien n’a changé depuis les années 1960. Je guigne sur le parc de la belle propriété à l'ouest, le ballon y est allé mourir une ou deux fois : un arrosoir, des feuilles mortes, quelques années et l’abandon chevillé à la mauvaise saison.
Rue des Glaciers ensuite, Petit Valentin et Riant-Mont. On devine à la verticale l'avenue de la Borde, vertigineux, le réseau des chemins qui conduisent à l'ancien lit de la Louve demeure incompréhensible pour ceux qui, comme moi, sont nés au bas du quartier.
Le Petit Parc porte aujourd’hui le nom pompeux de Square de Riant-Mont ; la caisse à sable et la balançoire ont disparu, des jeux en kit les ont remplacées. Les trois tilleuls, le vinaigrier, la fontaine sont d’époque.
Midi à Vevey avec Françoise et Édouard. Après-midi à Cully avec Stéphane. Soirée en famille avec Joëlle et Yves.
On écrit, peut-être, parce qu’on a renoncé a vouloir tout dire.

Jean Prod’hom

Il est dix heures

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(Poèmes de Monsieur)

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Il est dix heures, la fenêtre est grand ouverte. J’ai sorti mon kit mains libres, somnole dans la chambre, m’aventure immobile jusqu’au jardin, jeux d’enfants et visages transparents.

Un coq chante. Me voici à nouveau sur le seuil, qui déborde, les murs et les détours n’auront compté pour rien. Me voilà de retour, après toute une vie, comme je me l’étais promis, un peu ivre sous le drap blanc.

Ne pas bouger, ne pas respirer, se noyer dans le vent de mai, plus léger que le grain de l'ivraie.

Jean Prod’hom

Plusieurs pensionnaires ont quitté l'établissement

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Ce dimanche matin, il y a peu de voitures au parking ; dans un angle de la cafétéria, une jeune employée, blouse blanche, anime un atelier de pâtisserie, deux résidentes y participent.

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Plusieurs pensionnaires ont quitté l'établissement un peu après 10 heures, avec un membre de leur famille, ou un vieil ami, ils reviendront en fin d’après-midi. Les plus fatigués somnolent dans leur chambre, ils n’ont plus personne, à quoi bon ? Ceux qui en ont encore la force s'en réjouissent, s’abandonnant aux rayons du soleil qui fait un grand arc de cercle devant leur fenêtre grand ouverte, les rideaux vont et viennent, s’entrouvrent et laissent monter jusqu’à eux la lente rumeur des eaux hautes de la Sorge.
Arthur et Edmond jouent au jardin d'hiver où ils se sont, la veille, donné rendez-vous. Malgré les efforts que chacun a dû déployer, ils sont à leur poste, comme tous les dimanches matin, accoudés à la table ronde ; ils font une partie de bâtonnets. lancent les dés à leur tour, mais seul le premier déplace les pièces. 
Le chat Calou cligne de l'œil, niché dans la paille miel et or placée dans une corbeille en osier que matelassent les restes d'un vieux sac de jute. Paille, pelage, jute et osier ne font qu'un sur le rebord de la fenêtre, à côté de la boîte aux lettres ; ils ont, avec les vieux dans leur drap blanc, une place à part dans le concert des nations, ils n’attendent ni ne demandent rien. 

Jean Prod’hom

C’est donc de l’autre côté de la rivière

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Un vallon profond sépare la fermette de la maison aux volets verts. On aperçoit la seconde du belvédère qui surplombe le replat au milieu duquel la première a pris racine, il y a une centaine d’années, deux siècles après que les bonnes terres d’en-bas ont été colonisées et que les tard venus se sont installés là pour s’y établir. Puis, l’exode rural a eu son mot à dire, les forains qui ont relayé les paysans sur leurs terres sont aujourd’hui des retraités ou des familles sans tradition bien établie.

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C’est donc de l’autre côté de la rivière qui traverse le district du sud au nord, en face, à la même altitude ou presque, que se dresse depuis 1880 la maison de maître aux volets verts qu’une grande famille d’industriels a fait construire pour loger le directeur de l’une de ses succursales. L’usine construite en contrebas, à une centaine de mètres, profitait des grosses eaux de la rivière dont un canal prélevait une partie un peu plus haut, retenue par un bassin, faisant tourner une grande roue à aubes qui fournissait l’énergie nécessaire à la fabrication de lait condensé et de farines lactées.
Lorsque les coûts de production sont devenus trop élevés, les riches industriels ont cédé la maison du directeur, l’usine et ses dépendances à de nouveaux propriétaires, que la guerre avait enrichis et qui, pour se dédouaner, l’ont transformée en colonie de vacances pour orphelins, installant dans les hautes chambres une série de dortoirs pouvant accueillir une quarantaine d’enfants.
C’est pendant cette période que les préposés à l’entretien des alentours ont conçu et mis en place, avec l’accord des maîtres de céans, en lieu et place de l’usine qui avait été démantelée, une dizaine de volières qui ont ravi les orphelins de passage et enchantent les résidents d’aujourd’hui. Ces volières existent en effet encore. Y vivent une bonne centaine d’oiseaux au chant intraitable : canaris, inséparables, perroquets, oiseaux indigènes.
Il reste encore, du passé industriel du site, le tracé du canal qui descend de la maison de maître jusqu’au lac de rétention, qu’entoure une roselière, un parterre d’ajoncs et de bruyère ; la grande roue aussi, couchée sur le flanc, fatiguée, à l’image des nouveaux hôtes de la maison, devenue en effet, depuis une trentaine d’années, maison de repos pour personnes âgées, orphelines, handicapées ou en fin de vie.
Un chemin conduit d’un versant à l’autre de la vallée, en pente douce d’abord jusqu’au hameau des Tailles, avant de plonger dans les bois de feuillus jusqu’à la Sorge que bordent sur un épais lit de tourbe des sapins blancs et des épicéas. Un petit ouvrage, étroit, qu’on appelle le pont à Eiffel, en raison de sa structure d’acier, la franchit. ; on n’a nul besoin de l’emprunter lorsque les eaux sont basses. Le sentier remonte d’un coup ensuite, en petits virolets qu’on n’oublie pas, mais dont les communaux ont facilité l’utilisation en fixant, dans la pente, des sections de traverses de chemin de fer retenues par des fers à béton. L’effort que nécessite l’ascension n’offre guère le loisir, la première fois, d’apercevoir la vieille fontaine évidée à la hache, posée là à mi parcours ; c’est le dernier signe de la présence de l’homme. Ce chemin était autrefois emprunté autant par les gens des villages des alentours que par les gens de passage, les journaliers ou les vagabonds aux mains vides. Il ne tient aujourd’hui qu’à un fil.

Jean Prod’hom


Que de fois il avait eu la sensation d’être appelé

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Que de fois il avait eu la sensation d’être appelé à s’écarter du lieu qui lui avait ouvert les bras, au moment même où l’évidence s’imposait qu’il était enfin possible qu’il y demeurât. Chaque fois, il avait eu le sentiment de devoir s’en arracher, empruntant la voie qui l’en éloignait, qu’il rejoignait au prétexte qu’il voulait vivre encore avec ceux de son espèce, et parce que, peut-être, on lui avait appris à vouloir plus et à espérer mieux, ne prenant garde qu’il risquait ainsi de se couper à tout jamais de ce pourquoi il faisait tant et tant de détours. Il en alla à la fin autrement et il put séjourner en un lieu modeste sans demander son reste. De cette vie muette, on ne sut rien, sinon ce qu’il laissait voir lorsqu’on le croisait au village ou sur le chemin qui longe la limite communale à la lisière des bois. Et puis plus rien, ou presque, lorsqu’il accepta l’invitation qui lui fut faite d’habiter au second étage de la maison aux volets verts.

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Il m’aura dans son silence indiqué le chemin qui rend le retour possible, au lieu même que nous avons quitté et que nous allons rejoindre, en sautant comme sur un gué sur les traces que nous avons laissées, là d’où l’on vient, jusqu’au seuil de cette époque qui fut à la fois celle de l’enfance et du consentement, et dont on a cru bon vouloir s’affranchir.
Il y a deux immédiats, celui qu’on embarque sur nos rafiots et qui fuit comme le tonneau des Danaïdes. Et celui qui se tient immobile, dont on se détourne au moment même où l’on s’avise qu’on ne peut rien en tirer. Mais qui demeure intact, qu’on parvienne à en faire à nouveau notre demeure, seconde, ou qu’on l’oublie à tout jamais.

Jean Prod’hom

Monsieur ne reviendrait pas

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Monsieur ne reviendrait pas ; il s’était donné d’un coup tout l'avenir qui s'étendait devant lui, un avenir équipotent au passé sur lequel il ne se retournerait pas, sans chicane ni resserrement, bien décidé à le considérer aussi longtemps que sa nuit ne serait pas tombée sur la succession des causes et des conséquences, sur le bal des aubes et des crépuscules. Ne le dérangez pas.

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Il y avait donc une autre manière d’être dans la partie, dans sa grande largeur. Monsieur s’est tu, il n’y aura pas de dernier mot.
Je m’en rappelle, j’étais venu à bout le l’étroit sentier qui menait au col, considérant d’un coup le nouveau monde qui s’ouvrait sous mes yeux. Je me suis assis dans l’herbe rase, le dos appuyé à la pente, devant le ciel et l’étendue qui se prolongeaient bien au-delà de l’horizon auquel ils semblaient suspendus. Le temps a passé, j’ai hésité, j’aurais pu rester, me suis levé enfin. Avec l’étrange sentiment de trahir quelque chose que j’abrégeais, de renoncer à ce qu’il me faudrait, quoi qu’il en soit, recommencer un jour, en me consolant à l’idée que d’autres chances me seraient octroyées, aussi longtemps que j’aurais la force de reprendre une nouvelle ascension, de l’autre côté de la vallée, d’emprunter le chemin qui rejoint le col où la pointe de l'aiguille acérée touche l'horizon.

Jean Prod’hom


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COOP (Oron)

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Depuis quelques années, je remarque que les circonstances ont un effet toujours plus marquant sur l’exercice de ma raison, à tel point que je me demande aujourd’hui si elle ne suit pas scrupuleusement les indications chiffrées que lui transmettent les mouvements de mon corps physiologique et les accidents du temps qu’il fait. J'ai le souvenir qu'adolescent rien ne pouvait m’arrêter lorsque j’avais décidé de légiférer sur le monde, qu’il neige ou qu’il vente, que j’aie bu un coca ou une vodka. Avec le succès que l’on sait.

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De l’air, j’en brasse encore aujourd’hui, mais avec la conscience toujours plus vive de mon inefficacité ; mon attention aux circonstances m’incline désormais à ne pas en faire trop ; un rien m’arrête, m’amène à hésiter, me fait tousser ou me soulève, me remue, colore mon âme, paralyse mon esprit, fait patiner ma raison. Je les laisserai faire aussi longtemps qu’il m’en restera quelque chose, aussi longtemps que le corps qui les a circonscrits sera en mesure de les contenir. Et quand ce que j’ai cru être aussi pointu que l’extrémité de la plus fine des aiguilles se détachera, lorsque le pouce et l’index ne se refermeront plus, j’irai rejoindre l’étendue et la danse émoussée des poussières.
Je voudrais, avant, lever une peur qui grossit d’être contenue dans les filets d’un récit squelettique, je voudrais lever cette peur du mourir ; en marchant, en prenant du retard ou de l’avance, en écoutant et en écrivant de travers. Sans pourtant quitter la partie, comme lorsque je me trouvais le dimanche après-midi, après le repas dominical, étendu sur le canapé du salon, prétendument malade, écoutant les voix bien vivantes des gens que j’aimais et qui m’avaient oublié, comme mort, à l’image des portraits photographiques alignés sur le secrétaire. Un peu à côté, pas même une parabole, un pli, un pli bientôt défait, un pli du côté des vivants.

Jean Prod’hom

Fey

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A l’intérieur d’un cube de béton sans barreaux, j’accueille ce matin vingt-neuf élèves. Dans la boîte aux lettres ce midi, je récupère le numéro de la revue faire part consacré à Gil Jouanard et le papier annonçant la journée qui lui sera consacrée en mars au Cheylard.
Sur le chemin longeant la Menthue, cet après-midi, je fais une balade avec Edmond, autrefois employé agricole à Ropraz, aujourd’hui à la retraite ; il poussait alors une carriole de Vers-chez-les-Rod à la laiterie, dans laquelle il fixait soir et matin trois boilles à lait. Il chantait à tue-tête, lorsqu’il faisait encore ou déjà nuit, des mélopées au caractère indécis, entre louanges et imprécations, pour s’assurer de la protection du Très-Haut ou effrayer le diable qui hante depuis toujours ces fonds de la Corcelette.
Edmond est depuis quelques années l’un des vingt résidents de l’ancienne maison de la direction Nestlé chargée alors de fabriquer, dans les fonds de Bercher, le lait condensé. Edmond prie, Edmond s’inquiète de ce que lui réserve le ciel.

Jean Prod’hom


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C’est de là-haut

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C’est de là-haut, le regard tendu vers la maison aux volets verts, au deuxième étage de laquelle la vie de l’inconnu déclinait, que j’ai cherché à me représenter pour la première fois – à rêver ou à penser – le peu qui lui restait à vivre ; à concevoir un chemin qui croiserait le sien sans lui faire de l’ombre, à faire les premiers pas sur un tracé qui n’existait pas, que j’avais à la fois à imaginer et à emprunter, avec une exigence que j’aurais voulue égale à la sienne ; à marcher en pleine lumière, celle des jours auxquels il mêlait toujours davantage, à mesure qu’il s’allégeait, son propre silence et son évidence, même la nuit ; et à tenter d’écrire ce qui ne pouvait avoir lieu que de ne pas être dit.
C’est aussi de là-haut que je suis parti le dernier jour, à pied, pour rejoindre le jardinet de la maison aux volets verts, où l’infirmier-chef m’apprit que Monsieur était mort, seul comme il l’avait voulu, un matin de printemps, la fenêtre grande ouverte.

Jean Prod’hom


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On l'appelait Monsieur

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On l'appelait Monsieur dans le quartier. Et lorsque il n'eut plus la force de s'occuper de ses affaires, que sa marche devint trop difficile et qu’aucun signe ne laissa plus prévoir qu’il pourrait en aller autrement, il s'enquit d'un lieu qui lui offrirait un asile, à l'écart de la ville qu’il avait habitée sans y être vraiment, sans même la voir jamais, occupé qu’il fut aux travaux auxquels sa condition l’obligeait et auxquels il ne se déroba pas, qui l’éloignèrent de ce qu’il s’était promis de retrouver à la sortie du jardin de l’enfance, une innocence, et qui l’auraient amené à la fin, s’il n’y avait pris garde, à laisser à d’autres le soin d’écrire qu’il en avait été.

Jean Prod’hom


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Toutes les minutes ne comptent pas

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Toutes les minutes ne comptent pas, bien au contraire. Une seule suffit, celle qui se prolonge indéfiniment et dont il convient de ne pas nous couper, ni de nous écarter. Sans laquelle nous laisserions filer une fois encore ce qui nous échappe, condamnés à vivre à nouveau en-deçà ou au-delà. Une seule minute, qui s'élargirait jusqu'à envelopper ce qui nous manque, à laquelle nous nous joindrions, comme l'eau au goulet d'une fontaine qui déborde.

Jean Prod’hom

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Moille-aux-Blanc (Corcelles-le-Jorat)

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Cher Pierre,
Grand retour du soleil, avec les jours qui s’allongent ; la vie a repris des couleurs, bruants, mésanges et moineaux sont de sortie et donnent à ce quartier du Jorat un petit air de printemps, c’est pourtant un jour à garder les mains dans les poches.

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L’air froid, sec, et la neige bien serrée étouffent le bruit des pas du marcheur, les bêtes ne s’y trompent pas. Un chevreuil et un renard se sont donné rendez-vous à la lisière du bois Vuacoz ; le premier croque l’extrémité des jeunes pousses de foyard du printemps dernier, le second est de passage, jette un coup d’oeil à l’aire de pique-nique.
La Moille-au-Blanc, à quelques kilomètres de la ville, loin des horloges et de la succession des petits emmerd’s, offre ce matin une assez belle image de la durée, traversée en tous sens par le chant des oiseaux, le murmure de l’eau de la fontaine, les traits de lumière et les taches d’ombre, asile sans murs ni toit qui me désencombre.
Ce ne sont pas les moeurs et les coutumes des bêtes, leur repaire ou le territoire qu’elles contrôlent, qui me les rendent indispensables ; car au fond, elles vivent à peu de choses près ce que nous vivons. Non, ce qui me les rend indispensables, c’est le suspens dans lequel les circonstances nous installent elles et moi lorsqu’on se croise, avant que, assurées de ma réalité et du danger que je représente, elles se dérobent, se défilent sans se retourner, laissant en plan le chasseur que j’aurais pu être, mais abandonnant à mes pieds la certitude qu'il existe à côté de celle que croyais unique, une autre manière d’habiter la terre, au fond des bois qu’elles rejoignent par une ouverture de fortune, avec une élégance et une confiance que j’envie. Et cette apparition se prolonge par l’éclosion d’un espace aux dimensions que je ne soupçonnais pas, large et lumineux, où je ne suis plus seul parmi les hommes, et où vivre, vieillir et mourir deviennent à nouveau possibles.

Jean Prod’hom

Triage (Corcelles-le-Jorat)

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Peu de bruit sous celui assourdissant de mes pas, la neige est haute et lourde. Il faut s’arrêter et tendre l’oreille pour s’assurer que la vie n’a pas cessé, deviner le ruisseau en contrebas, l’avion au-dessus du brouillard, la poignée de neige qu’une branche laisse échapper.

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Le temps s’est adouci, il goutte, les couleurs ont disparu. Je monte au triage, on dit des bouvreuils pivoines qu’ils sont sédentaires ; les miens ont visiblement une résidence secondaire. Je demeure immobile, Oscar aux aguets ; c’est notre silence qui effraie le chevreuil caché dans le sous-bois, il se hâte de changer de quartier.
A la cime des arbres, le sifflement des oiseaux ne tiennent qu’à un fil.

Jean Prod’hom

Les Cullayes

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Il a neigé cette nuit, Pierrot a ouvert la route à l'aube. Je monte à la Mussilly, la neige s’étend à perte de vue ; le soleil guette au-dessus du brouillard, personne pour nous arrêter. Je songe à Robert Walser marchant dans les collines d’Appenzell. Ce n’est naturellement qu’une image, et la neige n’est pas une page.

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Mais s’il est allé mourir au bout de l’épuisement au-dessus de Hérisau, à quelques pas d’une barrière contre laquelle il ne se sera pas appuyé, préférant ouvrir les bras à la terre et au ciel, c’est qu’il avait déjà consciencieusement pris congé des hommes, s’efforçant depuis longtemps à n’être rien, ou presque rien. Les récits de Robert Walser en témoignent, par où la vie se manifeste, jolie et imprévue. Ils courbent l’espace que lui-même traverse en ligne droite, sans y toucher, laissant à la fin le livre ouvert, pages blanches dans lesquelles il ne fut jamais vraiment question ni de commencement ni de fin.

Jean Prod’hom

C’est le vertige mais aussi le piège de la relecture

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Cher Pierre,
Les élèves de 9ème lisent ce matin, chacun de leur côté, une nouvelle de Peter Bichsel tirée des Histoires enfantines, « La terre est ronde », une nouvelle aux accents borgésiens. Je m’y plonge moi aussi, pour la cinquième ou sixième fois ; j’ai le sentiment alors – c’est le vertige, mais aussi le piège de la relecture – de parcourir, toujours plus admiratif, impuissant, sidéré, les sous-sols d’une architecture dont la perception globale m’échappe chaque fois davantage, à mesure que je crois m’en approcher ; un labyrinthe à ciel ouvert d’une complexité toujours plus dense, différant à tout jamais l’espoir d’en dégager la signification (il en va évidemment ainsi pour n’importe quel autre texte) en exhibant la description exhaustive de ses éléments et de leurs relations, feuille après feuille.

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Je remonte au Riau à midi, Sandra a préparé du riz et une salade, un gâteau des rois en guise de dessert.
J’ai entamé ce matin la lecture du second album d’Amadou, Le Radeau. Ces histoires, décidément, devraient plaire à Lili. Je lui propose de les lui lire. Elle me répond qu’elle manque de temps, qu’elle doit se consacrer à Latitude zéro, le livre de Mike Horn qu’elle étudie dans le cadre scolaire.
- Ah bon ! Et où en es-tu de cette lecture ? Qu’est-ce qu’il fait, Mike Horn ?
- Il pagaie !
Il neige lorsque je pars pour les Cullayes, je fais une halte à Ropraz où des travaux ont commencé au bout du chemin du Pacoton, le corps de la ferme a disparu, restent l’étable et la grange. Je rencontre Ernest dans le hall de l’EMS, on se salue. Je lui raconte que j’ai pensé à lui à plusieurs reprises ces dernières semaines, chaque fois que je saluais Arthur au jardin d’hiver ou à la cafétéria. Il me dit que c’est à cause de lui qu’il est là : Arthur est mort.
Je trouve une chaise et me joins à la petite tablée. Arthur n’était pas en forme depuis une semaine ; il est descendu ce matin à la cafétéria. Un moment. Puis il est remonté mourir dans sa chambre. Arthur disait de cette maison qui l’accueillait depuis plusieurs années que c’était la maison du Bon Dieu.
Je monte à l’étage, T écoute la radio. Je lui lis deux chapitres du Sable Mouvant de Mankell, on les commente dans la bonne humeur. Je rentre.
Sandra a préparé une soupe, des hamburgers, un gâteau des rois pour le dessert. Elle sera reine pour la seconde fois aujourd’hui, le hasard fait bien les choses.

Jean Prod’hom


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Première et dernière fois

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Cher Pierre,
Ces heures de sommeil où il n’y eut, deux jours et deux nuits durant, ni jour ni nuit – mal de chien et convalescence – m’ont fait du bien. Je n'ai pas failli à ma tâche une seule heure, depuis bientôt 30 ans ; suis allé à la mine gueule droite ou de travers, d’orgueil parfois. De rester à la maison, hier et avant-hier, de me le permettre, m'aura remis plus vite debout.

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D’autant que je trouve dans mon casier un formulaire, celui de mes voeux d’enseignement pour l’année scolaire 2016-2017 à compléter d’ici fin janvier, pour la dernière fois. C’est la première fois que j’use d’une expression pareille, ce n’est pas la dernière.
Le Moyen Pays – qui est aussi le pays de la Venoge –,  que j'aperçois du second étage du collège, est gros d'un brouillard laiteux qui se dissipe à 9 heures. Une élève présente à ses camarades le caméléon, une seconde ce qu’elle a appris de la Cosa nostra sicilienne, une troisième lit à haute voix le 11ème chapitre de La Vallée de la Jeunesse. Longue halte à la salle des maîtres. Le brouillard se réinstalle à 14 heures si bien que je renonce à faire un saut dans les friches de Grancy.
Je m'arrête à C au retour, m’entretiens avec l'infirmier responsable que j'ai déjà croisé. Je retrouve finalement T à l’étage qui est allé faire un tour. Comme convenu je lui lis une nouvelle, la deuxième du recueil d'Il colombre de Dino Buzatti : La Création. Il me raconte en contrepoint l'histoire, connue me dit-il, de ce roitelet oriental bien décidé qu’on le rassure, après avoir décimé tous ses contradicteurs : Qui de Dieu ou de lui-même est le plus grand ? Le roitelet convoque les sages ; tous gardent le silence, inquiets pour leur tête ; un seul, sage parmi les sages, se risque enfin : c’est bien le roitelet qui est le plus grand, lui seul est capable d'exclure qui que ce soit, quoi que ce soit hors des limites de son royaume ; Dieu non, son royaume est sans borne.
Je m'arrête au retour en face de Ferlens ; toujours pas de chardonneret, mais un pic épeiche et, qui vient le rejoindre à la cime d'un vieux chêne gainé de lierre, une grive draine. Je décrotte mes chaussures à la fontaine du refuge de la Détente, bois une verveine à l’auberge de Mézières.
Au Riau, tout le monde est sur pied, Arthur est en vacances, Louise aura résisté. Je repars pour Oron ramasser Lili et Valentine qui mange et dort à la maison ; elles parlent chiffons avant de s’endormir, car à Mézières, demain, c’est tout à la fois le dernier jour de l’année et celui de l’élégance.

Jean Prod’hom


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L'éternité sans immortalité

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Cher Pierre,
Il a beaucoup plu au milieu de la nuit ; les copeaux de bois et la sciure ont rejoint le gravier entre les dalles de l’allée ; je place les cartons vides de la bibliothèque à l’arrière de la Nissan et descends au Mont. Nous suivons sur la TRS, entre 9 et 10, une partie des élections au Conseil fédéral, les petits Vaudois auront congé l’après-midi du 17 décembre pour fêter Guy Parmelin, leur nouveau conseiller fédéral.

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Le projet avec Stéphane prend forme ; à moi d’établir le lieu où déposer notre cueillette quotidienne ; l’affaire démarrera le 14 janvier. Je reprends le modèle utilisé jusque-ici pour lesmarges, d’où je retire toute ce que je peux retirer sans toucher au code source. Il restera, tout en haut, peu visible, une corniche à double profil.
T est couché sur son lit, je m'assieds sur une chaise et on parle de choses et d'autres, de l’éternité, du suicide assisté, de l’immortalité, des bruits dans le couloir, de Holan, de l’éternité sans immortalité. Sa petite chambre a l’avantage d’être bien chauffée, mais le soleil n’y entre jamais. Il se détend, moi aussi. Sa soeur viendra demain pour s’occuper de ses affaires.
Il n’a pas grand chose à lui ici, quelques photographies, les souvenirs de ses lectures et des rencontres qu’il a eu la chance de faire avec des hommes qu’il a admirés. Il me parle notamment de Stéphen Jourdain avec lequel il a passé une inoubliable journée à Morges, il me prête le seul livre visible dans sa chambre, un livre qu'il n'a plus la force de lire : Une Promptitude céleste.
Je crois que mes visites lui font du bien, elles m’en font aussi ; nous parlons de choses graves, presque silencieusement, auxquelles il pense chaque jour, comme nous tous. Je lui propose avant qu’on se quitte de lui lire la prochaine fois, s’il le souhaite, quelques pages ; on en reparlera. Trois-quarts d’heure suffisent, il me sourit, fatigué, je lui souris. Il est heureux que nous nous soyons rencontrés, moi aussi. Je passe à la déchèterie y déposer les cartons et rentre au Riau.
Arthur travaille avec deux camarades dans sa chambre, les filles écoutent de la musique au salon, je prépare une salade et des croûtes au fromage à la cuisine, Sandra rentrera plus tard.
On regarde après le repas le journal télévisé, Guy Parmelin essuie de nombreuses critiques et les titres des journaux de demain ne sont pas tendres à son égard. Avoir la peau dure n’est pas une qualité suffisante pour faire un bon politique, mais elle est nécessaire ; je ne puis m’empêcher de me faire du souci pour ce nouvel élu.
Les filles vont se coucher et Arthur se remet au travail. Lili me demande de rappeler à sa mère qu’elle doit l’embrasser sitôt rentrée. Je n’attends pas, monte me coucher avec Vladimir Holan et Stephen Jourdain.

Jean Prod’hom

Vieux anges fatigués

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Cher Pierre,
Le vent d’ouest s’est levé et les premiers nuages butent contre les Préalpes. Si ça suit à l’arrière, le ciel va sérieusement s’alourdir. Il tombe quelques gouttes à 11 heures.

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J’enregistre la fin de l’introduction et la première des huit parties du Gustave Roud de Philippe Jaccottet : Matière paysanne. Qui écrit notamment ceci à propos des terres que le Carrougeois n’a pas quittées : cette campagne qui commence précisément quand on tourne le dos au lac ramuzien, quand on monte un peu vers le nord, et tout change (parfois, comme par exemple à Chexbres, avec une mystérieuse, magnifique brusquerie) : la lumière, le climat, les cultures ; plus haut encore, les rivières commencent à descendre vers le nord. Un pays de collines douces, avec de nombreux villages aux fermes massives, et de loin en loin un bourg, entre deux grands lacs. Mais aussi et surtout un pays serré entre Jorat et Préalpes.
Lili, qui vient manger avec une amie à midi, a fait le voeu de voir sur les assiettes un hot-dog. Je descends à Epalinges, en reviens avec le strict minimum puisque Sandra et moi partons en fin d’après-midi à Charmey : deux jours sans les enfants ; Françoise a la gentillesse de s’en occuper.
Je vais boire après midi une verveine à C ; la responsable de la cafétaria m'accueille avec le sourire, sa collègue lui a parlé de mon passage dimanche. Ça bouge, beaucoup de jeunes gens entourent les résidents ; au fond, un atelier biscôme.
T me rejoint, nous passons ensemble un moment à papoter, son corps ne lui laisse que peu de répit ; toujours marcher, s’asseoir un quart d’heure, puis se coucher, recommencer, varier les positions ; il voit peu de monde et ignore de quoi l’avenir sera fait. Il grimace, sourit, s’empare de ses cannes et va à petits pas retrouver son lit.
A la table voisine un couple d'anges, vieux anges fatigués, le regard éloigné, mais comme reposé ; quelque chose soudain les fait grincer des dents, une broutille qui tord leur visage, leur retire cette grâce à laquelle ils semblaient promis, comme si le monde leur en voulait, qu’ils avaient été oubliés. J’intercède, un infirmier leur apporte la cuillère et le sucre qui leur manquaient ; tout se remet en place, ils me lancent un sourire et retrouvent leur visage d’ange.
Les jeunes gens font bande à part dans le coin cuisine, rient avec l'assurance de ceux qui ont tout le temps. Dans le jardin d'hiver, A. joue avec deux de ses collègues. Dans le couloir qui y mène un livre noir, ouvert sur une photographie accompagnée du mot de la responsable de l'établissement qui annonce le décès, hier, de l'un des pensionnaires. Livre noir, livre d’or sur lequel chacun peut ajouter un mot avant de tourner la page. Je rentre, la vie continue.

Jean Prod’hom

La vie de nos morts est décidément trop courte

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Cher Pierre,
Arthur a passé la nuit chez des amis à Lausanne et reviendra dans la matinée ; Jacques m’envoie une photographie trouvée, j’imagine, dans les affaires de Marc, Sandra et les filles sont descendues au marché. Je profite du silence dans la maison pour enregistrer la première partie de l’introduction du Gustave Roud de Philippe Jaccottet avant de prendre la Nissan et de me rendre aux Cullayes.

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Je m’arrête au cimetière, l’hiver est à notre porte et l’arrosoir à l’abri. J’y croise Ginette accompagnée de son chien clopinant sur trois pattes ; elle rend visite à Georges dont les cendres reposent au jardin du souvenir, de sa mère et de son père qui ont vécu sur un petit domaine de la commune et qui disposent aujourd’hui d’un petit lopin de terre au fond du cimetière. Ginette hésite à reconduire la concession, je l’y encourage, la vie de nos morts est décidément trop courte.
Ginette marche avec une canne mais sourit du haut de ses 78 ans comme une gamine de 15. Elle se souvient de ses longues marches jusqu’à l’école de Mézières, de la tartine qu’elle croquait à midi, Elle se souvient du trou de la Bressonne qu’elle devait franchir dans la nuit avant de prendre le tram à Montpreveyres. Vendeuse à la Placette, elle aura les reins assez solides pour ouvrir, dans les années 70, une bijouterie au Grand-Saint-Jean. Sans enfant, sa nièce a repris la boutique en 2005 ; Ginette va s’y rendre après le cimetière, la soulager, lui donner un coup de main. Ce village, ce n’était rien il y a cinquante ans, à peine un village, 80 habitants ; je pense à Mazagran et aux Ardennes ; pas d’église, une poste ; il sonne deux coups au clocher de l’école.
J’entre sans frapper, personne à la réception ; je croise une blouse blanche puis la responsable de la cafétéria. Cinq minutes suffiront pour qu’on m’accepte. Les résidents arrivent goutte à goutte. Je parle à T, il est là depuis un mois. Je reviendrai le voir.
Je ne peux m’empêcher de manifester ma joie lorsque j’aperçois A ; il se souvient, nous étions allés sur les bancs de bois de son attelage, mon fils et moi, jusqu’à Peney, ça avait duré le temps qu’il fallait, c’est Fanny qui nous tirait.
J’ai assez vite l’impression de tous les connaître ou de les avoir croisés : je discute le coup avec un ancien employé des parcs et promenades de la ville de Lausanne ; il a toute sa tête. défend ses droits, écoute ses voisins, souffre d’arthrose.
Chacun boit un thé avant de retourner dans sa solitude, dans sa chambre ou au salon. J’offre mes services à la responsable de la cafétéria qui en parlera à la direction. Quoi qu’il en soit, je reviendrai.
Je fais au retour une halte au restaurant qui est comme une dépendance de l’établissement que je viens de quitter, mais avec un poêle. Y mange un vieux couple : lui vêtu d’un pull jaune canari ; elle anglaise, se souvenant de la reine Victoria. A côté, une dame qui offre pour ses soixante-dix ans un repas à ses trois grands enfants qui cherchent sans la trouver la clé qui autrefois les réunissait. Il est 17 heures quand je rentre au Riau, Sandra et Louise font des mathématiques, Lili et Arthur sont occupés dans leur chambre.
A moi de faire à manger, j’écoute la radio d’une oreille : Jean-Claude Biver parle avec une naïveté consternante des jeunes de 15 à 35 ans. La suffisance du bonhomme me dégoutte, je grogne. Arthur m’informe, pour me consoler, que Federer est riche d’un demi-milliard de dollars. Mais comment désormais va-t-il faire pour se débarrasser de ce fardeau et jouer enfin, avec une seule balle.

Jean Prod’hom


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Le site comme atelier (3)

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Cher Pierre,
Il fait beau ce matin – mais frais aussi –, Marc-André est arrivé avec sa camionnette, il entame à 8 heures 30, avec un ouvrier et le jeune homme qui reprendra bientôt son entreprise, les travaux à l’entrée et au pied de la façade orientale de la maison, pendant que je choisis, au chaud – mais à l’ombre – quelques-uns des textes que je lirai jeudi à Vevey.

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Le temps passe plus vite lorsqu’on en manque, si bien que je quitte le Riau à midi et demi, sans être venu à bout de ce que je termine à l’instant. Marc-André et ses deux collègues mangent à la véranda, j’aperçois sur le chemin Elsa, Louise, Lili qui rentrent à la maison.
J’ai remis à une élève et un élève de la 9P les commandes techniques de publication de leur site en fin d’après-midi, Raul leur remettra bientôt la clé qui leur permettra d’accéder au serveur sans déborder sur mes terres. Les autres élèves sont libres de lire ou d’écrire, j’en profite pour évaluer avec chacun d’eux l’abstract de leur présentation orale.
Claude m’envoie un message dans lequel il se propose, jeudi prochain, d’ouvrir les feux en racontant l’histoire de la fabrication de Marges, de me laisser la parole ensuite pour parler du site et faire quelques lectures. Il serait intéressant que JLK, s’il nous rejoint, parle de son expérience web, avant d’ouvrir une discussion en buvant un verre et en mangeant une soupe.
Je retourne à mes notes, là où je les ai laissées hier, mais tournées du côté de l’avenir ; ces deux livres ont changé en effet un peu la donne, depuis janvier 2014 déjà, lorsque Pascal Rebetez me propose d’écrire Tessons et de le lui remettre avant l’été avec un choix de photographies. En effet, pour alléger mes journées, mais pour que le site reste en vie, je ne rédigerai quotidiennement qu’un tercet quotidien accompagné d’une photographie (brimborion), jusqu’en janvier 2015.
Pris de court le 14 janvier 2015, Tessons en librairie et les 365 brimborions mis en boîte, je relance la rubrique Dimanches, ouverte en 2008, mais sous la forme d’une correspondance (fictive, semi-fictive, réelle) avec Pierre Bergounioux (Cher Pierre). Cette correspondance, qui s’achèvera le 14 janvier 2016, ne sera pas pour autant abandonnée. Mais le site retrouvera sa forme d’avant janvier 2014 ; dans une autre perspective pourtant, celle d’un atelier, d’un atelier analogue à celui du peintre ou du sculpteur : chaque texte jouissant d’une autonomie complète, mais un oeil ouvert sur les autres, pour constituer à terme un texte de textes : un livre.
Dans ce même ordre d’idée, je voudrais reconsidérer les 2000 billets des marges.net, non plus sous l’angle de l’écoulement des jours, ou de leur appartenance à telle ou telle catégorie, mais sous un angle dont je ne sais rien encore.
Il y a en outre un ensemble de 77 textes écrits en 77 jours (Avec Thierry Metz) que j’aimerais reprendre et dont quelques fragments réagencés ont paru dans une revue numérique.
Il y a aussi des plans-fixes,...
Il y a...
Mais il y a  – et peut-être surtout –, cette invitation qui m’a été faite d’ouvrir un lieu pour qu’y soit déposé, l’année prochaine, ce qui aura été cueilli simultanément ici et là-bas. J’en saurai plus début décembre.

Jean Prod’hom