Dimanche 14 novembre 2010



Dans les prés maigres de la Grand Vy, quelques bouquetins et leurs petits broutent l’herbe de novembre. Des pancartes les ont avertis des dangers, mais l’ancienne décision de faire du Creux du Van une réserve naturelle ne les empêche pas aujourd’hui de rester sur leur garde. Les bouquetins ont une bonne mémoire. C’est en 1857 que David Robert, le propriétaire de la ferme du Creux, a liquidé le dernier ours de la région.
Ils sont une petite dizaine, comme nous. Vont et viennent comme nous, sans mors ni longe, mais ils vivent nus et sans un sou. Un petit franchit le mur de pierres sèches, les autres suivent, le vieux ferme la marche. Et tandis qu’on reste plantés-là, le troupeau s’éloigne à petits pas serrés sur la ligne d’horizon tendue entre le Tiltlis et le Mont-Blanc. Nous sommes plus inquiets qu’eux pour la nuit qui vient.
La ligne brisée des Alpes accapare notre attention un instant à cause de sa démesure, à cause de tant de regards hébétés qui s’y sont alignés. C’est de l’autre côté que règne le simple, sans gouffre ni sublime, à notre mesure, écrit pour l’étranger comme pour ceux du crû. Thomasset s’assure que le monde est bien en place, c’est dimanche, il cherche à voix basse l’or déposé dont les récits ne parlent pas.
La vallée des Ponts est un morceau du tendre haut perché qui déploie ses ailes comme une chauve-souris pour virer au-dessus de la vallée de l’Areuse. Pâturages vert pâle que tire à l‘est – et resserre – le col de Boinod. Tout autour les sapins noirs du Jura. Vallée sans ride, à peine marquée par le Bied qui prend sa source dans la Combe des Quignets. Le ruisseau recueille sans faire de vagues les eaux des tourbières avant de se perdre dix kilomètres plus loin dans l’entonnoir du Voisinage près des Ponts-de-Martel et mêler ses eaux noires, 300 mètres plus bas, aux eaux de la Noiraigue. Hors tout, un jardin suspendu.

Jean Prod’hom