Engraisser Grasset

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Referme au réveil l’Apostille de Genette ouverte au milieu de la nuit, et termine Un peu plus loin sur la droite de Vargas. Entame la lecture de la version numérique du Derborence de Ramuz avec, comme il se doit, des problèmes de césure. Sur ce coup, j’ai à nouveau l’impression d’engraisser Grasset : 7 euros 95 en version papier chez Amazon, 5 euros 99 au format Kindle ou ePub!

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Il n’est pas sûr par ailleurs que les outils fournis avec la version ePub sans DRM – dit-on les choses ainsi ? – soient suffisants : cinq couleurs pour surligner, un seul type de trait, rouge, pour souligner, rien d’autre. Sans compter un ralentissement croissant lors d’une utilisation généreuse. Mais ce premier chapitre de Derborence contient des merveilles :

- Oh! bien sûr que non, a dit Antoine.
Ce fut tout; il s'était tu. Et, à ce moment-là, Séraphin s'étant tu également, on avait senti grandir autour de soi une chose tout à fait inhumaine et à la longue insupportable : le silence. Le silence de la haute montagne, le silence de ces déserts d'hommes, où l'homme n'apparaît que temporairement : alors, pour peu que par hasard il soit silencieux lui-même, on a beau prêter l'oreille, on entend seulement qu'on n'entend rien. C'était comme si aucune chose n'existait plus nulle part, de nous à l'autre bout du monde, de nous jusqu'au fond du ciel. Rien, le néant, le vide, la perfection du vide; une cessation totale de l'être, comme si le monde n'était pas créé encore, ou ne l'était plus, comme si on était avant le commencement du monde ou bien après la fin du monde. Et l'angoisse se loge dans votre poitrine où il y a comme une main qui se referme autour du cœur. Heureusement que le feu recommence à pétiller ou c'est une goutte d'eau qui tombe, ou c'est un peu de vent qui traîne sur le toit. Et le moindre petit bruit est comme un immense bruit. La goutte tombe en retentissant. La branche mordue par la flamme claque comme un coup de fusil ; le frottement du vent remplit à lui seul la capacité de l'espace. Toute espèce de petits bruits qui sont grands, et ils reviennent; on redevient vivant soi-même parce qu'eux-mêmes sont vivants


M’en vais à Montricher faire le point sur les travaux de la Maison de l’Ecriture. De l’extérieur on ne semble pas avoir beaucoup avancé, mais on s’affaire dans tous les coins et un responsable m’indique sans trembler que tout est sous contrôle.
A l’Auberge des 2 Sapins, c’est une autre affaire qui agite les esprits, des affiches annonçant un concert de cuivres ont été arrachées dans le village. On soupçonne, sans jamais dire son nom, un mômier local qui n’aurait que peu apprécié les corps nus et dodus des sept musiciens qui ont placé pour dissimuler leur appareil leur instrument, tuba, cornet à pistons ou trompettes à coulisse.
La bibliothèque semble fermée, je décide donc de rentrer par Moiry et Ferreyres où je m’arrête. Rejoins avec Oscar le chemin qui mène à la Tine de Conflens, il est barré en raison d’une coupe de bois. Mais aucun bruit de tronçonneuse ne me parvient, je passe sous les rubans qui en interdisent l’accès et je m’engage sur le chemin défoncé par endroits. Les rochers gras et glissants font penser à des corps de poissons froids et gluants, les bûcherons ont fait tomber de jeunes foyards sur la barrière de protection, le vide n’est pas loin.
On n’aura vu le ciel bleu aujourd’hui qu’une dizaine de minutes, c’était au confluent du Veyron et de la Venoge, le soleil s’est soudain glissé dans le bois, on a bien cru un instant qu’il allait s’imposer mais le brouillard l’a avalé d’un coup.
Je reviens par La Sarraz, Oulens et Eclagnens, Goumoens-la-Ville et Villars-le-Terroir, Echallens, Poliez-le-Grand, Poliez-Pittet et Dommartin. A l’approche de la Toussaint et de la Fête des Morts les cimetières renaissent un peu, les employés communaux ont placé des branches de sapin près des bassins. A Poliez-Pittet, un fils et sa mère mettent en terre au pied de la tombe du frère et du père des plants de bruyère et emportent les bégonias qu’ils mettront en cave. J’imagine le remue-ménage qui devait régner dans ces annexes des villages il y a une cinquante d’années à la veille de la Toussaint. Les voitures roulent phares allumés, le château d’eau de Goumoens-la-ville peine à nous éclairer.

Ceci encore : lis sur un marbre noir d’une tombe outrageusement prétentieuse les mots suivants : Le problème de la vie se résoud dans un mot : le devoir. D’accord avec le défunt et sa famille, mais ils devraient convenir avec moi que le devoir ne résout pas tout non plus.

Jean Prod’hom

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