L'amitié (1)

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Le soleil est revenu, l’herbe a poussé, il me faudra tondre. Je suis passé ce matin près de l'étang, les iris vont s'ouvrir bientôt et faire voir leurs délicats arcs-en-ciel. Je crains toutefois que le bouclement de l'année scolaire, la virée à Orgevaux, le voyage aux Eoliennes et les deux livres auxquels je dois mettre un point final ne me tiennent loin du jardin et me fassent manquer l’éclosion de ces fleurs qui me ravissent depuis longtemps déjà. Il nous faut trop souvent consentir à renoncer à ce qui nous entoure et que nous chérissons ; il sera soudain trop tard, il ne nous restera que quelques regrets pour nous consoler, quelques images, quelques souvenirs, et l’amitié.
Car au fond il s'agit bien de cela, prolonger ou faire revenir ces instants qui nous font signe et à côté desquels on passe, condamnés que nous sommes, pour vivre, à nous détacher de l’immédiat en taillant des marches au fil du temps, en nous promettant au dedans qu’on ne nous y reprendra pas et qu’on recomposera sur nos claviers, plus tard, ce qui était lorsqu’on n’y était pas, songeant au bonheur que ces instants auraient pu nous apporter et qu’ils nous offrent tandis que, écrivant musique et cadence, nous ne l’espérions plus.
J'ai pris quelques photos des iris dans leur étui et conduit Louise à Lucens pour la fête du cirque, Lili fait du cheval et Arthur du vélo. A la fin, je le sais, le vent nous emportera, on ne laissera à ceux qui viennent que les quelques brimborions qu'on aura cru bon ne pas jeter, une
fleur qui s’incline, quelques tercets, des photographies, les peintures des amis et, mêlé à l’intraitable beauté du monde, un peu du trouble qui nous habite.

Jean Prod’hom