(P. F. 4) Georges Simenon

Capture d’écran 2013-10-19 à 12.27.20

On ne l’aperçoit pas au fond de l’un des fauteuils rouges du premier rang du Rex. Tout est bien rangé : sa veste brune matelassée à ses pieds, avec par-dessus une casquette et l’étui de ses lunettes. Il ne cède rien des accoudoirs qu’on partage communément avec ses voisins. Il pioche dans un petit sachet, en attendant le début du film, des bonbons qu’il croque. Des copains tout autour s’agitent, s’affairent pour un rien. Caché derrière les montures épaisses de ses lunettes, menton dressé, le gamin n’est pas avec eux, les odeurs des velours vieillis et les taches d’humidité sur les crépis défraîchis l’ont jeté dans une rêverie tropicale.
Ce n’est pas seulement une histoire qu’il vient chercher là, mais de la lumière et le vent du large. Les lourdes tentures s’écartent. Son visage se marbre d’impressions qui dansent autour de ses rétines. Il retient tout, le sérieux et le bénin, comprend qu’au delà de ses journées il y a un monde, des virées imprévues, des ciels rouges, des obligations plus légères, des usages qui ne sont pas les siens.
C’est ici que le gamin prépare le cinéma de sa vie, écoute avec passion l’histoire de Philémon et Baucis et celle des Chevaliers du ciel, enregistre le sourire de la mariée et les conseils du forgeron à l’enfant qui n’a pas de père.
C’est avec la même passion qu’il s’endort les soirs d’été, lorsque la lumière faiblit, et qu’il suit sur les boiseries de sa chambre l’ombre dansante des feuilles du platane qui viennent se joindre aux ancolies de la tapisserie.

Jean Prod’hom