Dimanche 29 mai 2011



On a failli l’écraser ce matin dans une longe courbe entre Mézières et Corcelles, où il est soudain apparu, caché jusque-là par les herbes hautes et les rames de colza. On roulait au pas, c'était un homme que personne n'avait vu encore dans le coin, il semblait traqué, pieds nus et torse tatoué, pressé, les traits tirés, inquiet d’avance de ne pas trouver là de quoi s’arrêter, incapable de mettre à respectable distance l’enfer vers lequel il se hâte. On ne le reverra plus.
Est-il seulement possible aujourd’hui de vivre vagabond, de rien et à découvert? Les chemins vicinaux trop coûteux à exploiter disparaissent, l’inconnu est d’entrée le malvenu, les inspecteurs du travail ont mis le holà aux coups de main des employeurs de fortune, les églises ferment leurs portes avant la tombée de la nuit, on cadenasse les refuges. Les vagabonds sont condamnés à accélérer leur marche, plus nus que jamais, répondre d’une misère dont beaucoup réussissaient autrefois à tirer parti. Il ne fait pas bon être vagabond aujourd'hui, les chiens errants ont une vie bien meilleure.




Ce soir la nuit monte des corps du bois, en continu, souffle sur les longues herbes inclinées de l’étang, le vert et le bleu sombrent, le renard revient sur ses pas avant de s’enfuir, j’ai beau me croire chez moi, il se sait chez lui. L’obscurité lisse les jointures des choses, ça tient ensemble, la terre et le bois, le ciel et mes doigts.

Jean Prod’hom